Kintsugi, le fil doré de ma vie, Mathilde Paris
24 Octobre 2023 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #en lisant - en relisant
«Maman est partie». Avec le cactus dont elle disait qu'il était une leçon de vie, capable qu'il est de survivre en milieu hostile. Maman a disparu, les laissant seules, elle, Lorna, seize ans, et sa sœur Ebony, six ans, et seul leur père désemparé, littéralement, sans prise sur rien désormais.
C'est Lorna la narratrice. Qui file le récit, intime, dans la fragilité d'un Je en recherche de lui-même. Maman est partie et ce vide, c'est d'abord celui de son odeur. Qui lui rappelle que lorsque «l'odeur de (sa) grand-mère a laissé place à celle de (son) grand-père, il est mort à son tour».
Lorna, dans une poignante anamnèse, regarde depuis cette absence la maison, la ville, ses habitants et tout ce vide entre leurs gestes et comment ils s'en défont ou au contraire le comblent, l'émouvante maladresse des ponts qu'ils dessinent, ces quelques effleurements, l'infime toucher d'un doigt sur un bras, une épaule, quand il s'agit d'aller à la rencontre d'autrui dans la sincérité d'une émotion dont on ne sait pas encore si elle est partageable et jusqu'où elle l'est. Le ton est celui de la méditation. Lorna se rappelle ses apnées infantiles comme autant d'exercices spirituels. Sa première : elle avait quatre ans, sa mère venait de l'humilier : «J'ai retenu mon souffle pour ne pas arrêter de respirer»...
Nous en sommes tous là, au mieux.
Les phrases sont à la mesure et du vertige et de la tendresse portée sur cette nécessité de croire encore possible un autre récit de soi, du monde, fluides, aimantes, d'une douceur inouïe. Lorna campe à terre au milieu de ce monde où «toutes les odeurs finissent pas disparaître». Jusqu'au moment de la rencontre. La seule, inattendue, sublime parce qu'inattendue et forcément amoureuse, de Sam le jeune mécano, alors qu'autour d'elle s'agitent d'autres «prétendants». Sam, si différent, qui lui raconte des histoires d'arbres protecteurs, pourvu que l'on sache s'y lover. Sam si étranger à son monde, si patient. Lorna résiste, tente Hugo plus conforme à son milieu, mais se sent elle-même devenir de plus en plus étrangère aux siens. Sam l'initie à l'art du Kintsugi : l'art de réparer les objets cassés -la réparation ne doit pas être masqué. Des pages magnifiques sont consacrées à l'histoire d'un bol restauré. «Il faut laisser le temps dériver pour retrouver le présent». Ces objets raccommodés d'un fil d'or prenant la place des ruptures. Il faut du temps pour comprendre ce qu'aimer vaut d'être. L'objet ne peut être restauré dans ce qu'il était : il faut en faire une œuvre, non un pis-aller. Mais Sam doit partir. La quitter. Il doit marcher droit devant lui, aller voir les cerisiers en fleurs avant que de pouvoir revenir, peut-être, auprès d'elle.
Alors Sam est parti, et Maman est revenue.
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Mathilde Paris, Kintsugi, le fil doré de ma vie, éditions Auzou, 2022, 272 pages, 14.95 euros, ean : 9791039512084.
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