Un simple dîner, Cécile Tlili
Etienne reçoit. A dîner. Pas si simple, ni si modeste. Certes pas de grande cuisine, mais tout de même : Claudia, sa compagne, a mis les petits plats dans les grands -l'expression est triviale, mais Claudia se sent bien dans cet état d'esprit pour honorer le couple convié : les amis d'Étienne. Un dîner en forme d'examen de passage donc pour Claudia, qui ne sort ni d'une grande école, ni d'une grande famille. Rémi est arrivé. On attend Johar, sa femme, le clou de la soirée. Tailleur sombre, chaussée Louboutin -on l'espère du moins. Ou Clergerie, plutôt que Charles Jourdan ou Dior, trop quelconques désormais. Johar à qui tout réussit. Grande classe, femme de tête, une ancienne camarade d'Étienne. Enfin : camarade n'est pas le bon mot évidemment. Elle sonne ; C'est charmant chez vous. Entrée, long couloir illuminé, salon, salle à manger, terrasse rue des Saints-Pères. Elle, c'est boulevard Raspail, pas loin de la Fondation Cartier bien sûr. Flatteries d'usage entre vieux amis qui ont réussi : Étienne est avocat d'Affaires. Vanités en apéritifs, tandis que Claudia, kiné de profession, campe dans la cuisine. Premier impair : ça sent partout l'odeur tenace de curry du plat exotique qu'elle a conçu. Fille de psychiatre tout de même, cette Claudia, et d'une gynéco. Pas la classe moyenne quoi. Et du coup ça sonne un peu faux sociologiquement parlant... Bon, mais on parle vacances. L'île de Ré. Sauf Claudia, qui ne parle pas. Trop intimidée. On se demande pourquoi. Complexée sans doute, en retrait. La star, on l'a dit, c'est Johar, sortie de nulle part pourtant, qui a gagné au mérite sa place parmi les nantis. Elle va prendre la tête d'une entreprise côtés au CAC 40, forte de 100 000 employés. Un vrai rêve américain en somme... Qui sonne bien faux dans la France de Macron, et même celle d'avant, tout comme sonnent fausses les trajectoires des uns et des autres, à l'image de celle de Rémi, «petit prof», de prépa tout de même. Bon, là, agacé par le ton, les stéréotypes, une conversation qui se voudrait élégante et bobo à souhait entrelardée de culture et de visions sociétales mais qui n'est que banale, on a juste envie de refermer le livre et pour passer au suivant. La rentrée n'en est pas avare. La comédie du dispositif effare, tout sonne la méconnaissance du milieu bourgeois parisien cultivé. J'ai poursuivi tout de même, curieux : pourquoi ce roman ? Johar se souvient de son enfance tunisienne, de la faim, des dortoirs improvisés chaque soir dans la salle à vivre, des matelas qu'on ramasse au petit matin, Rémi de ses parents commerçants, certes à Reims, Étienne de la vaste bibliothèque à échelle de ses parents... Et puis, bon : c'est un huis clos. Peut-être quelque chose à en tirer. Étienne apprend que Johar vient donc d'être nommé à la tête d'une multinationale. Courbettes. Rémi laisse tomber son smartphone qui affiche un message de son amante, que Claudia découvre. Claudia qui ne parvient pas à exister. Elle ne sait même plus comment apprendre à son compagnon qu'elle est enceinte... Et finit par faire une fausse couche dans les toilettes. Le drame se noue. Johar affronte cette pitoyable comédie, annonce qu'elle n'acceptera pas le poste alors qu'Étienne, avocat d'Affaires en délicatesse, l'a déjà annoncé à ses chefs pour redorer son blason. Rémi voit Johar partir, pour de bon, le quitter, partir quoi, définitivement. Étienne voit Claudia partir. Définitivement elle aussi. Le temps des ruptures s'invite dans le huis clos, et ça en est jubilatoire. Ne reste que le vide des vanités masculines.
Cécile Tlili, Un simple dîner, Calmann Lévy, août 2023, 180 pages, 18 euros, ean : 9782702188408.