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La Dimension du sens que nous sommes

La propagandiste, Cécile Desprairies

27 Septembre 2023 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #en lisant - en relisant

La propagandiste, c'est la mère. Collabo fermement attachée à l'idéologie nazie, elle opéra à la Propaganda puis toute sa vie, resta fidèle à son engagement pétainiste. Enfin, sauf au moment de la Libération... Son histoire est racontée par sa fille, née en 1957, devenue historienne de la propagande sous l'occupation... Une position qui brouille les genres. L'éditeur écrit «roman» sous le titre, donnant à lire le texte comme une pure fiction : «et si ma mère avait été collabo ?»... Mais nombre d'attestations contraignent à le lire comme un document. L'énonciation elle-même l'y rangerait. Entre document et auto-fiction peut-être, le «romanesque» venant remplir les trous d'une mémoire, celle de la mère, qui s'est toujours refusée à tout révéler, le « comme si » lui tenant toute sa vie d'après la collaboration lieu d'oubli.

En historienne, Cécile Desprairies reconstitue avec tout le sérieux du métier le contexte historique, donnant à comprendre ce choix que nombre de français ont fait, de collaborer. La généalogie familiale est implacable passée à ce tamis, non pour excuser ce qui était tout sauf un égarement, mais comprendre ces français qui ont voulu saisir l'aubaine de la présence nazie pour jouir leur vie et vécurent ainsi l'occupation comme un conte de fées...

Écrit au présent, le récit est accablant, qui révèle l'insouciante légèreté de ces familles bourgeoises qui ne ressentirent aucun état d'âme à s'emparer des biens spoliés, à vivre dans les appartements spoliés (sa mère), à négocier les meubles spoliés (sa tante), à dépenser frivolement l'argent volé à ceux qu'on envoyait jour après jour dans les camps pour les exterminer.

Le dégoût vous saisit devant tant d'ignominie. On croise sans fard les personnages aujourd'hui et hier, comme la grand-mère hier, empochant une montre en or tendue par un désespéré qui espérait en échange un simple verre d'eau qu'elle ne lui donna pas. On pleure devant le récit de l'oncle journaliste grimpant dans l'appartement des grands-parents tenter de faire une ou deux photos originales du Vel d'Hiv', juste en face... On enrage des non-dits d'après guerre de la famille lavant à peu de frais ses horreurs assénées pendant la Collaboration, pudiquement voilée sous le terme générique de «guerre».

Au delà des membres d'une famille opportuniste, on croise du beau monde dans ce roman. Céline, à vomir, aux conférences du Professeur Montandon. Un bénédictin fasciste, Doriot et on jette par dessus l'épaule de la narratrice un œil sur les revues destinées à l'édification de la jeunesse française et dans lesquelles travaillait la mère, comme ce «Youpino» à gerber, dont elle confectionnait les slogans, sans parler de Signal et de ses unes franchouillardes exaltant la France des vieux viticulteurs à béret...

La propagandiste... C'était le nom que les nazis avaient donné à sa mère. Et tout ce petit monde, fidèle à sa veulerie, s'en sortira bien la défaite consommée ! La mère fera du zèle auprès des militaires américains, les suivant jusqu'aux States pour se refaire une virginité, ou l'oncle journaliste passant en Suisse pour y jouer les résistants, tout comme le père, pétainiste de cœur, se déguisant en résistant lui aussi les derniers jours.

Tout un monde infâme, mort très récemment, jamais disparu : l'après-guerre ne les a pas changés. Leurs convictions sont restées et tout un peuple de collabos a survécu longtemps. «Ce serait comme si» la Libération n'avait rien changé en profondeur, ou si peu. C'est donc plutôt comme si : ils ont fini par ressurgir. L'extrême droite a droit de cité, le racisme, plus que jamais à son ordre du jour... Ce «comme si» qui était devenu après la Collaboration le mode d'être de sa mère et dans lequel la narratrice a failli s'épuiser, est devenu le nôtre. Vertige : raconté à l'indicatif, le récit laisse grammaticalement émerger ce qui a été et qui aurait dû ne plus être. Comme un retour, mieux, ce temps du récit, c'est déjà celui de notre présent...

 

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Cécile Desprairies, La propagandiste, Seuil, août 2023, 218 pages, 19 euros, ean : 9782021523720.

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