L'indésir, Joséphine Tassy
« Un petit deuil boiteux »... Au retour d'une soirée arrosée, au petit matin, Nuria se réveille un homme à ses côtés et le téléphone qui ne cesse de l'alarmer. C'est Jeanne qui appelle : « Maman est morte ». La première idée qui lui vient, c'est le type à côté d'elle. « J'ai pas fait exprès », lui semble une raison suffisante. Que maman soit morte ? Qu'elle l'ait ramené chez lui ce type ? Elle ne la voyait plus de toute façon, sa mère. Jeanne, c'est sa grand-mère. Le gars dans son lit se nomme Abel. La crémation a lieu le matin même. Nuria invite Abel à l'accompagner. Histoire de faire connaissance. Lors de la crémation, Nuria est intriguée par la foule d'inconnus qui se presse autour du cercueil. En fin de cérémonie, elle est abordée par un très jeune homme : Félix. Il se présente comme l'amant de sa mère. Enfin, il «sortait» avec elle. Du moins : il l'aimait. Il les embarque chez lui. Intarissable sur la défunte, que Nuria découvre. Plus tard déboule Arnaud, son oncle et frère de sa mère, avec sa femme Constance qui, elle, ne se cache pas de n'avoir jamais aimé la défunte. Qui n'aimait au fond personne semble-t-il. Les uns et les autres se perdent en anecdotes, dans toutes ces histoires qu'on se raconte en famille les jours de deuil pour éclairer la vie éteinte. Une femme téléphone, une inconnue que Nuria a aperçue lors de la cérémonie de crémation : Salomé. Elle a trouvé le porte monnaie de Nuria et l'invite à passer le chercher dans le club où elle officie. Salomé, insolemment belle, sensuelle, impudente. Danseuse de cabaret, qui aimait sa mère à la folie. Tout ce monde caché dresse en creux le portrait d'une femme outrageusement désirée. Mais Nuria réalise aussi que sa mère ne l'a pas aimée. Qu'elle n'a pas voulu ses enfants, qu'elle n'a peut-être désiré personne, aimé personne. De l'inutilité d'aimer à l'inconvénient de l'être, s'allonge une étonnante galerie de renoncements. Ou de subtils arrangements : chacun a vu la vie depuis ce qu'il, elle, était, non telles que les «choses» (de l'amour?) étaient... On songe presque à une éthique à la Cioran : «L'art d'aimer ?, écrivait-il, c'est savoir joindre à un tempérament de vampire la discrétion d'une anémone». Nuria n'a rien su de la vie d'indésir de sa mère, que nombre de vampires entouraient, à tout le moins, elle même vampirisant ce monde. Tout juste a-t-elle peut-être vécu l'amour comme une invraisemblance dont elle a su quoi faire : son entourage... « L'amour, écrivait Niklas Luhmann, n'est pas seulement une anomalie, mais une invraisemblance tout à fait normale ». De l'Amour, ce dernier posait qu'il était une sorte de réponse prémonitoire à la logique de déliaison à l’œuvre dans toute liaison. Une branche à laquelle se raccrocher. L'amour libre, souverain, lui semblait s'être par trop confondu avec la quête de l’autonomie personnelle, et comme exprimant avant tout la "validation de la présentation de soi". La Passion, c'était les autres qui la portaient, pas sa mère. Nuria au fond, paraît tout proche elle-même de vivre dans l’érection de ce Moi somptuaire où chacun, laissé seul face à lui-même, se trouve aux prises avec un problème de communication obscur, sinon improbable : comment aimer ? Comment tomber amoureux depuis ce Moi somptuaire dressé pour parer à ce genre d'éventualités ? Sauf à accepter de prendre le risque d'en découdre avec lui, d'abord. Un risque que sa mère n'a jamais pris. Ce risque où les révélations faites autour de son cercueil ont plongé désormais Nuria. La question se repose alors : de quoi faire le deuil, plutôt que de qui ?
L'indésir, Joséphine Tassy, L'indésir, L'iconoclaste, août 2023, 382 pages, 2090 euros, ean : 978-2378803735.
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Lu sur épreuves non corrigées. Et cela a son importance : le texte est hachée typographiquement dans ces épreuves. J'ignore s'il l'est dans la version finale, s'il s'agissait donc d'une intention et non d'erreurs de mise en page. En outre j'aime à laisser irrésolue ma lecture : il y a dans le manque de logique à l'œuvre dans ces erreurs un manque de réalisation qui laisse ouvert la question du deuil, qui restera ainsi boiteux.