Phoolan Devi, Claire Fauvel
Non pas la vie de cette femme devenue une égérie de la révolte féminine en Inde, mais son enfance et son adolescence, à peine ses débuts dans l'âge adulte. L'histoire débute alors que Phoolan Devi est libérée, en 1994. Retour arrière, l'année 1974, elle a 9 ans. Un mâle de la famille élargie décide de couper l'arbre planté par son grand-père pour en voler le bois, un bois qui devait lui revenir à elle pour payer son mariage. C'est encore l'époque où la situation de la femme en Inde est proche de celle des Intouchables. Mariée de force à 11 ans, violée par son mari, battue, traitée en esclave, Phoolan Devi s'enfuit, aux prises avec un monde d'hommes intraitables : «Une fille sans homme est à tout le monde»... On la ramène de force, le conseil du village se réunit, elle fuit de nouveau, poursuivie puis violée par la police cette fois, ramenée de nouveau au village, de nouveau agressée. L'histoire est insoutenable, mais son traitement graphique ne cesse de conférer à Phoolan Devi la dignité qu'on lui refuse. Elle finit par réussir enfin sa fuite, trouve refuge auprès de bandits, s'arrache dans la violence à son monde brutal sans parvenir jamais à vivre autre chose que la violence faite aux femmes, qu'elle refuse et combat avec force -un courage qui bouleverse. Sauvée par l'un de ces bandits, Vikram, elle ne connaîtra pas davantage la paix : Vikram sera assassiné par l'un des siens, jaloux. Phoolan Devi écume sa région, n'en cède en rien en audace aux hommes dont elle habite désormais le destin, sinon qu'elle refuse leur sauvagerie aveugle. Sa tête est mise à prix, elle poursuit son œuvre, détrousse les riches et donnent aux pauvres l'argent de leur survie. Cheffe de bande, elle conduit avec intelligence ses opérations, l'armée aux trousses cette fois. Finalement, c'est Indira Gandhi en personne qui négociera les conditions de sa reddition.
Superbes planches en noir et blanc, cette vie que dessine et raconte Claire Fauvel est sublime de ne l'être pas, dans le sacrifice que la société lui impose. Quelle beauté dans ce destin de femme, justement pas héroïque au sens de ces valeurs que l'héroïsme commande habituellement et avec lesquelles le dessin rompt radicalement. On songe aux combattantes vietnamiennes, à Louise Michel : l'héroïsme pour les autres et non pour soi comme dans ses modèles masculins. Rebelle à l'autorité, les valeurs qu'elle remet en cause sont surtout celles du patriarcat. Non pas comme un genre troublé, où la femme se ferait mâle pour en combattre les fins : l'assignation de genre masculin-féminin n'adopte pas ici les codes masculins, pas même dans le dessin du masculin.
On en savoure toute l'importance, dans une BD qui s'adresse à la jeunesse dans sa phase de besoin de héros. Le combat est celui d'une femme qui sait se battre avec générosité, mais en rien ne se distingue par sa valeur guerrière. Et c'est même un tour de force ce que réussit Claire Fauvel, de pouvoir dégager pareillement son personnage de tout imaginaire sanglant, de tout exploit meurtrier. L'héroïsme en question, encore une fois et il faut insister à ce sujet, est celui d'une odyssée existentielle. Ce qui importe, c'est de devenir le personnage principal dans le récit de sa propre histoire, dans un combat également très intériorisé : réfléchir sur soi-même, affronter les normes sociales qui nous défont, pour se reconnaître enfin comme responsable de sa propre vie et faire de l'affirmation de soi un événement à la portée de tous. Ce qui est héroïque ici, c'est cette capacité qu'à Phoolan Devi de s'arrêter pour penser en être humain et non plus comme Héros.
Phoolan Devi reine des bandits, Claire Fauvel, Casterman, 2013, 22 euros, ean : 9782203112117.
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