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La Dimension du sens que nous sommes

black bloc, histoire d'une tactique, Camille Svilarich

15 Avril 2023 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #Politique

Rappelons d'emblée que le black bloc n'est pas un groupuscule mais une tactique, «une formation historique contingente» comme l'écrit l'auteure, qui s'est inventée et se réinvente aujourd'hui encore dans ce que les manifestants français ont fini très justement par nommer le cortège de tête : une manière collective et spontanée de s'organiser pour faire face aux flics dans une configuration fluctuante. Une tactique qui a une histoire, que Camille Svilarich analyse.

Une histoire qui plonge ses racines dans les mouvements d'extrême gauche du début des années 70, en filiation directe avec ceux que l'on a appelé les maos spontex en France, délaissant la théorie pour la pratique et affirmant avec force la capacité à s'émanciper et à se libérer individuellement. Or ce ne sont pas les français qui ont inauguré cette tactique, mais les «opéraïstes» italiens, héritiers des maos spontex, et ce dès l'année 1973, au moment où les maos français liquidaient la Gauche prolétarienne. Les «Spontis» constituèrent alors des réseaux sur les restes du mouvement maoïste, organisés en cellules fluides et autonomes, chargées de penser la riposte à la répression policière. Très vite, ils découvrirent que la tactique ne pouvait être que « spontanée », à remodeler chaque fois pour faire face à des situations chaque fois nouvelles. Et bien que leur devise ait été de rester imprévisibles, à cause de leur ancrage universitaire, ils n'y parvinrent jamais. Le mouvement se réorienta du coup vers la création de squats. Mais ces squats étaient pensés comme leur propre fin et non un moyen. Malgré leur relatif échec, les Spontis ouvrirent la voie aux mouvements anti-autoritaires des années 80, dont les autonomistes antifascistes italiens furent les héritiers.

Les autonomistes allemands récupérèrent ensuite leurs idées en réinvestissant cette fois les luttes sur le terrain de l'écologie. Dans ce contexte apparurent les premiers Schwarzer Blocks, autour de militants autonomes. Hélas, l'état d'urgence décrété en Allemagne en 1977 mit fin à cette émergence. Ce sont les allemands qui mirent en place le dress code noir du black bloc.

L'appellation black bloc, quant à elle, apparut une première fois à Seattle, lors de la marche du 26 janvier 1991 contre la guerre du Golf. Et c'est toujours cette même ville qui en consacra le mythe, lors de véritables batailles qui y furent menées entre le 30 novembre et le 3 décembre 1999, en une démonstration magistrale. Seattle était bouclée. Une immense chaîne humaine se mit en place pour encercler ce bouclage. Et dès la première nuit, les militants se constituèrent en petits groupes autonomes qui détruisirent toutes les vitrines des banques. Le lendemain eurent lieu les affrontements directs avec la police.

 

En France, c'est la loi Travail de 2016 qui contraignit les manifestants à récupérer ce savoir militant, face à une police encouragée par le gouvernement socialiste à les violenter. Par la suite, les Gilets Jaunes durent affronter une violence inouïe à leur tour, laissant la Nation désemparée, à l'exception d'une poignée de jeunes militants qui installèrent définitivement le black bloc dans le paysage de la contestation française.

Face à l'ensauvagement de la police française, il s'agissait alors pour le cortège de tête de rester humain en usant d'une violence rationnelle, en refusant de la prendre pour une fin en soi, ce qu'elle était devenue pour ladite police. Au printemps 2016, le terme s'installa définitivement dans l'imaginaire collectif, mais aussi et surtout dans le vocabulaire répressif, en se substituant à celui d'ultra gauche. La presse l'utilisera désormais au pluriel, les Blacks Blocs, pour désigner un groupe imaginaire, fantasmé, alors qu'il ne peut s'employer qu'au singulier : le black bloc, encore une fois, est une tactique, pas un groupe terroriste. La confusion était bien sûr volontaire, donnant à croire à la constitution d'une ultra gauche terroriste, et permettait, jusqu'à aujourd'hui, d'éviter d'avoir à reconnaître que dans le cortège de tête il n'y avait plus seulement l'ultra gauche, mais des citoyens éclairés, en colère. La figure du casseur, au passage, semble désormais n'appartenir qu'au vocabulaire ahuri du népotisme médiatique.

Le black bloc a ainsi émergé en France quand la jeunesse a fini par réaliser qu'elle en avait assez de prendre des coups lorsqu'elle manifestait pacifiquement. Quant au répertoire d'action de la tactique, on le connaît bien à présent : destruction des symboles d'un modèle de société failli, vitrine de banques, mobilier publicitaire, etc. Affrontement direct avec la police, vigilance sur les nasses et désormais stratégie dite de guérilla urbaine, en réalité de mobilité et d'affliction pour épuiser sur le long terme les forces de répression. Manque une coordination réfléchie pour «piloter» le bloc.

 

Le black bloc à la française semble aujourd'hui se renouveler : on le sait, l'affrontement direct avec les forces de l'ordre n'est plus possible, la police française s'étant militarisée à outrance et déployant sur le terrain des armes de guerre. Reste la stratégie d'affliction que l'on a vu se concrétiser le soir de l'utilisation du 49.3, ou celui de la validation de la loi par le Conseil Constitutionnel : des groupes de manifestants dispersés dans Paris, avec toujours une poubelle d'avance sur des flics acculés à leur courir après. Ce genre de tactique est la forme politique «nécessaire pour penser l'époque contemporaine», celle qui révèle l'essence et la sclérose du pouvoir de la Vème république : la police, dernier rempart d'un pouvoir meurtrier, à la poursuite du Peuple français.

 

Camille Svilarich, black bloc, histoire d'une tactique, illustré par Fleuryfontaine, éditions excès, collection sciences humaines, mai 2022, 128 pages, 10 euros, ean : 9782958118815.

 

 

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