La Constitution de la Vème République : une relique qui non seulement infantilise la société française, mais l'étouffe.
De législature en législature, d'année en année même, elle n'en finit pas de révéler son visage autoritaire et sa seule raison d'être : confisquer le pouvoir entre les mains d'une minorité. Immature, elle traduit le fanatisme de ses sectateurs, à commencer par leur grande défiance à l'égard d'un peuple déjà dépossédé de sa souveraineté, sinon leur mépris, tout autant que leur démence à croire que l'état ainsi défini surplomberait la société plutôt qu'il en émanerait, et dans lequel l'intelligence serait du côté de ses dirigeants. Mais les exemples abondent avec les quinquennats Macron, de leur immense bêtise !
Article 49.2 sur la survie du gouvernement en absence de majorité, article 49.3, le plus connu, article 38 du règlement du Sénat, article 47.1 écourtant les débats à l'Assemblée Nationale, article 45 et son huis clos de la CPM, article 16 proclamant les pouvoirs exceptionnels, article 26 interdisant la poursuite des membres du gouvernement, article 38 autorisant de légiférer par ordonnance, article 40 délimitant le périmètre des amendements, on n'en finirait pas de dénombrer la nocivité de cette Constitution, on n'en finirait pas de réaliser combien elle est un leurre fait pour nous abuser, ce dont nous allons encore avoir la démonstration dans les jours qui suivent avec le débat autour la motion de censure...
La minorité au pouvoir ne manquera pas, à l'occasion, d'affirmer que l'existence seule de cette possibilité de censure est l'expression d'une pleine démocratie. Mais elle taira qu'avec le dépôt des motions de censure, ce n'est pas la Loi sur les retraites qui sera mise au débat, mais tout autre chose. Mais elle taira que cette motion devra être votée à la majorité absolue pour espérer renverser le gouvernement, quant ses lois n'exigent elles aucune absoluité...
Le grand constitutionnaliste français, Guy Carcassonne, dans son étude sur la Constitution de la Vème, parlait à propos du 49.3 d'une « arme » entre les mains du pouvoir. Une « arme » ! Se doutait-il en la qualifiant dans ce champ lexical policier, qu'il en révélait du même coup les vraies intentions ? Qu'il révélait la vocation des gouvernements sous ce régime né d'une guerre, de se tenir toujours sur le qui-vive, toujours prêt à affronter la société civile si celle-ci venait à ne pas accepter sa soumission ?
Il est piquant de relire les notes de Guy Carcassonne au sujet du 49.3, déplorant son usage intempestif, quand il n'aurait dû être qu'exceptionnel à son avis. Mais au regard de quelle morale puisque l'article existe ?
Guy Carcassonne déplorait l'usage qu'un Valls en avait fait... Il est mort trop tôt pour évoquer celui, banalisé, sous la présidence Macron.
Il est mordant de lire déjà l'ahurissant prologue de Vedel, exposant ses doutes sur la méthode choisie par Carcassonne, d'analyser cette Constitution article après article quand à ses yeux, chacun de ces articles ne peut être « compréhensible » que mis en rapport avec le dessein général de l'ensemble... Son dessein général ? Mais ce sont ces articles qui le révèlent justement, en en dévoilant le caractère autoritaire. Et Vedel de filer une invraisemblable métaphore musicale, parlant d' "opéra" à propos de ce texte. Un « opéra » jouit-il, ajoutant non sans rire que l'objet de cette constitution était de faire que le goût du pouvoir tourne « au service de la société et de ses valeurs » ! A son dommage plutôt !
Guy Carcassonne il est vrai ne s'épargnait aucune louange à l'égard de ce vieux machin qui mure la société française dans une immaturité politique sans nom. Et de rappeler à son tour comme tant d'autres les circonstances dans lesquelles elle naquit. Fort bien. Mais nous sommes en 2022, non dans l'horizon de la guerre d'Algérie... Lutter contre l'instabilité politique ? Vous trouvez que le chaos social provoqué par la stabilité politique de la Vème est à tout prendre meilleur ?
La Constitution de la Vème, à la vérité, est un verrou que nous devons faire sauter pour enfin moderniser notre vie politique ! Pour en finir avec les gamineries de sales gosses capricieux de nos dirigeants, forcément féroces, tant leur immaturité est grande. Pour en finir avec un pouvoir dont la seule finalité est le pouvoir. Pour en finir avec la vulgarité de ministres incompétents et dont le bras d'honneur est le seul mode de reconnaissance. Pour en finir avec un gouvernement qui devrait assumer ses responsabilités devant le peuple souverain, mais qui s'y dérobe honteusement. Pour en finir avec une assemblée qui n'est même plus une chambre d'enregistrement, ni une assemblée de godillots mais un salle d'aise meublée de playmobils. Pour en finir avec une situation dans laquelle le Président est souverain, et le parlement son représentant avili.
La IV République tenait le Peuple à distance, la Vème l'a enfermé.
La démocratie ? Elle n'est plus qu'un élément de langage. Tout comme les Droits de l'Homme et du Citoyen.
« Une bonne Constitution, concluait Guy Carcassonne, ne peut suffire à faire le bonheur d'une nation. Une mauvaise peut suffire à faire son malheur ». Voilà, c'est précisément là où nous sommes.
Car la vérité d'un état démocratique réside en fait dans la nécessité d'un sommet contingent, labile. Cette déstabilisation fondatrice de la puissance suprême est l’essence même du caractère démocratique de nos sociétés, qui inclut dans le pouvoir politique la particularité de valeurs nécessairement opposées. De sorte que ce qui est fondamental, en politique, c’est la fonction d’opposition. Or en France, les derniers présidents de la Vème République se sont employés à mettre fin à cette vertu d’opposition, sans laquelle aucune démocratie digne de ce nom ne peut survivre. C’est pourquoi la rue a dû récupérer et devra récupérer demain ce principe d’opposition. Et devra mettre fin à ce régime présidentiel : la Constitution de la Vème République est devenue un outil obscène qui entrave la venue d’une société nouvelle.
La Constitution, introduite et commentée par Guy Carcassonne et Marc Guillaume, préface de Georges Vedel, 16ème édition, Points Seuil Essais, août 2022, 490 pages, 11.90 euros, ean : 9782757897034.