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La Dimension du sens que nous sommes

Au lourd délire des lianes, Francis Mizio

14 Novembre 2022 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #en lisant - en relisant

Hénaurme1 !

Un immense exercice de liberté dont on peut souhaiter qu'il rencontre en miroir le même affranchissement de ses lecteurs, de tous les codes qui enferment d'ordinaire leur lecture dans les tribulations malingres des genres trop lustrés pour être honnêtes. C'est que Mizio a fait feu de tout bois : glossaire, bibliographie, webographie, cosmogonies fabuleuses, mythologies inventées, cultures controuvées, modes de vie fantasques, tout est vrai, tout est faux, une encyclopédie, encadrée par un appareil critique imposant, des catégorisations du monde pas si abracadabrantes au vrai avec leurs réalités déclinées tout au long du roman comme prismes à travers lesquels en comprendre l'action, du monde dur au monde flou en passant par le monde métro (métropole), et bien évidemment avec une mise en garde linguistique savante, des notes de bas de page à hurler de rire qui n'en finissent pas de proliférer, bref, vous ne tenez pas entre les mains un livre mais un bouillonnement, un pic, un sommet, un promontoire plutôt qu'une proéminence à la protubérance pourtant exceptionnelle, mieux : un rhizome dont nul ne peut empêcher qu'il n'ait pas de fin tant cette fiction déborde ses propres excès : voyez les bonus sur instagram...

 

Alors l'histoire, le pitch... puisque vous y tenez...

Nous abordons en terres marécageuses chez les @tribuMacroqa : oui, ils disposent d'un compte twitter et vous pouvez suivre leurs aventures, qui ne s'arrêtent jamais, sur leur compte. Et pour vous rassurer, imaginez que vous êtes dans Clochemerle revisité. Le chaman-Jean-François Macroqa vient de débarquer (enfin, il a pris l'avion, survolé déjà nos préjugés, leur a tordu le cou, ratiociné et débarqué quoi), de Paris, au sortir du centre pour toxicos dont il était le patient, à cause d'une addiction ruineuse au pastis. Il retourne au pays fort d'une révélation qui l'a foudroyé net le Jour du Dépassement (mais si, vous savez de quoi il s'agit : GIEC) et décidé à ne vivre que pour le projet grandiose qu'il a conçu : faire de sa tribu une communauté écologique exemplaire, dans cette Guyane où jusque là, il s'agissait moins de préserver l'environnement que de s'en protéger. Las, le village vaniVani campe juste en face du sien, et il est habité par des sortes de crétins des Alpes, mais amérindiens. Les vaniVani, eux, voudraient développer le tourisme autour d'un projet non moins pharaonique, celui de croisières à bord du Jungle River Boat, un rafiot retapé à grand frais, naguère flambeau à l'abandon dénommé le Charles de Gaulle... Le ton est donné. Heinrich Filipon Petit-Lézard, le chef vaniVani, n'a à la bouche que des affabulations marketings et le vocabulaire qui va avec. Le décalage est d'un drôle absolu mais pas si drôle qu'on oublierait par exemple que ce sabir est celui qui ruine nos consciences. La guerre fera donc rage entre les deux tribus. Chaman Jean-Louis, qui découvre qu'il n'a hérité d'aucun don particulier, tout comme son père et le père de son père, et le etc., mais de la certitude de ses ancêtres que le chamanisme n'est qu'un tissu de bobards, finira tout de même, contraint, par convoquer le Grand Yolok, au pouvoir de ouf, pour faire le Grand Ménage (une sorte de Jour du Dépassement qu'on ne peut plus dépasser) : se débarrasser des voisins qui de toute façon de tous temps et de tous lieux ont toujours fait chier. Je ne vous en dirai pas plus, ni rien du Grand Ménage qui ne ménagera pas les esprits sensibles que nous sommes, pour n'évoquer que le fond sur lequel tout cela fait fond : l'Europe à son naufrage. Ce là-bas (ici) de désolations où l'on ne parle que de sobriété des pauvres pour sauver la planète, quand ces pauvres n'ont jamais connu que la misère – la sobriété serait donc pour eux comme un progrès, non ? L'Occident va disparaître, nous l'avons bien tous compris, tandis que les Macroqas resteront à la pointe, finalement, d'une civilisation qu'on peine à appeler humaine.

Vous aimez lire ? Bien !... Alors oubliez tout ce que vous avez lu jusque-là : Mizio réinvente le lecteur et le libère de ses habitudes. Lisez tout, ou parties, in extenso ou quasiment, voire à l'estime, ou bien encore prélevez ce que bon vous semblera : ce roman n'a pas d'équivalent et mérite que le lecteur soit sans équivalent.

 

1Pour reprendre le mot de Flaubert, et parce qu'il y a du Bouvard et Pécuchet là-dedans, voire l'ironie flaubertienne du catalogue des «opinions chics», ce regard distancié sur le monde qui chaperonne, littéralement, la construction de personnages perçus comme des créatures grotesques, sans parvenir à dissimuler l'affection qu'il leur porte... De l'ironie donc, mais aussi cette jouissance de désobliger que Flaubert partageait avec Baudelaire, qui nous vaut un avertissement au lecteur gratiné à l'égard des gougnafiers qui voudraient lui reprocher d'avoir moqué des peuples trop longtemps moqués en choisissant la Guyane «profonde» pour cadre romanesque.

Car l'action se passe en Guyane, c'est-à-dire nulle part, pour reprendre cette fois l'Ubu de Jarry. Et à propos de Pologne, celle d'Alfred entendons-nous, songez que son «nulle part» n'était au fond que celui des Tatras chères à Witkiewicz : celui du baroque sarmate qui vit naître les textes les plus ahurissants de la littérature polonaise, voire de la littérature mondiale tout court, comme ceux de Pasek ou de Witkacy, de vraies farcissures romanesques qui donnent à penser que dans cette tradition littéraire, le roman de Mizio, traduit en polonais, saurait toucher plus de lecteurs qu'il n'en dénombrera (hélas) en France.

Mais finissons-en avec les références, assez tartiné de culture tartuffe, d'autant que Mizio se réclame de Swift, quant au style aussi bien que de l'imaginaire et non sans de solides raisons littéraires. Cet inutile commentaire ne signale au vrai que la pitié d'une acculturation toujours bancale, prisme, si l'on veut, à travers lequel on croit lire ou écrire, toujours insuffisant, incapable de voir qu'il y a du Mizio là-dedans et tant pis pour Flaubert,voire même Swift ! Tout ça pour dire qu'on lui ferait un procès injuste à convoquer la Guyane plutôt que ce «nulle part» ubuesque où ses indiens Macroqas (on met un « s » au pluriel?), inventés par ses soins, offrent le plus parfait miroir, comme il l'écrit dans son avertissement, du monde absurde où nous vivons.

 

Francis Mizio, Au lourd délire des lianes, éditions Le niveau baisse, avril 2022, 560 pages, ean : 9782958225209.

Retrouvez les aventures de la tribu Macroqa sur instagram : @tribumacroqa

ou sur leur site : Tribu Macroqa – Site du roman "Au lourd délire des lianes" (francismizio.net)

ou sur twitter @TribuMacroqa

site de Francis Mizio : Francis Mizio's Pink Flamingo – Site parano bas carbone : Écriture – Vies vraie et numérique – Jobs – Méthode de pilates littéraires – Flamants roses

et sa propre présentation du roman, sur Youtube :

Au lourd délire des lianes : une recension farfelue - YouTube

 

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