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La Dimension du sens que nous sommes

Topographie, Benoit Colboc

26 Octobre 2022 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #en lisant - en relisant

Le vieil homme s'est pendu. Libre enfin de ses défaites. Je ne dirai pas lesquelles. Pas tout de suite. Recouvrant paradoxalement une sorte de dignité à pendre comme un porc à l'abattoir, au bout de sa corde.

Le vieil homme, c'était un nom dans la campagne. Un monsieur respecté. N'imaginez pas un fermier : un administrateur plutôt. Ne rêvez pas non plus d'une enfance campagnarde. On parle ici d'un couple de retraités à qui l'on «prêtait» chaque semaine le petit garçon d'une famille amie.

Le vieil homme vivait agrippé aux tremblements de sa maladie : Parkinson. «Décousu», écrit l'auteur. Un homme incapable d'atteindre ses envies, recommençant sans cesse, s'acharnant. Tentant de se dé-chaîner sans jamais y parvenir, aimant peut-être, au final, ses chaînes qu'il enroulait au cou du petit garçon prêté. Un vieil homme juste «seul», enfermé dans ses tremblements, sa femme à ses côtés, cette femme qu'il aura «aimée» d'un bout à l'autre de son abjecte vie. Un homme seul tout de même, sans que personne ne puisse concevoir ce que revêtait cette solitude d'homme reclus dans ses sordides tremblements.

Lui, le garçon, à sa mort, a lu les lettres que le vieux écrivait à sa femme. Un pacte de sincérité. Odieux.

Là, maintenant, tout ça si loin et pourtant si présent. Il se rappelle. Compile les gestes, hachés, jetés ici et là, impossible à décrire c'est-à-dire à ordonner dans des phrases accomplies qu'il ne finit presque jamais du reste. Comment achever ? Comment parachever ce qui est revenu atrocement à la mémoire, s'est répété, ce monde des habitudes, récollection d'objets impitoyablement douloureux ?

Chaque vendredi, le couple de retraités venait l'emprunter à la sortie de l'école. Pour jouer à être ses parents. «On», disait qu'ils le traitaient comme un enfant roi, à décider de ses repas. Il devait juste choisir d'être... Non, ce n'est pas le mot, vraiment. De n'être pas puisqu'il était leur jouet, tantôt le fils, tantôt la fille, abusé, au pied de leur lit. Jusqu'à ses treize ans.

Voilà. L'ouvrage d'un coup vous prend aux tripes. L'enfant prêté raconte ensuite sa sœur, l'aînée de neuf ans. Secrète. Indépendante. Mariée un jour, divorcée trois mois plus tard et qui lui avoua qu'elle avait été jalouse... de sa liberté à lui... D'avoir pu chaque vendredi sortir de sa famille d'origine.

Voilà. Le texte. D'anaphore en anaphore, s'enfuit le spectacle des atrocités. Reste à inventer les mots pour raconter cette histoire. Reste à emprunter le chagrin des autres pour dire la mise en terre du « lubrique malheureux peureux ». Reste qu'il ne peut y avoir de consolation.

«A l'écriture de ne pas fuir l'enfant prêté»...

 

Benoit Colboc, Topographie, édition Isabelle Sauvage, coll. Singuliers pluriel, juin 2021, 15 euros, ean : 9782490385256.

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