Frank « Big Black » Smith, Jared Reinmuth, Améziane
Frank Smith (1993-2004), un géant de la lutte contre le racisme et les inégalités. Ce roman graphique raconte sa vie, sous la forme d'un hommage poignant, sinon bouleversant. Au cœur de cette vie, la révolte des frères d'Attica, ce centre pénitentiaire scandaleux où, au terme d'une mutinerie justifiée de quatre jours, des centaines de noirs américains furent mutilés, torturés, ou tout simplement abattus dans la cour D, transformée par les forces spéciales et des policiers ouvertement racistes, en zone d'extermination.
Attica, centre pénitentiaire de sécurité maximale dans l'état de New York. On est en 1971. Les conditions de détention sont proprement inhumaines. Le 21 août de cette année-là, Georges Jackson, black Panther détenu à Soledad, est assassiné. Son livre, Les Frères de Soledad, publié en 1970 et dont il faut vous conseiller la lecture tant il est accablant pour cette Amérique raciste, a été un énorme succès mondial. Les Frères d'Attica réagissent à ce meurtre en organisant une journée de jeûne et de silence total au sein du centre pénitentiaire. Tous portent un brassard noir en signe du deuil de Georges Jackson. A cette journée de solidarité, l'administration répond par une succession de provocations et de brutalités qui se concluent par le violent tabassage arbitraire de l'un d'entre eux : Dewer. Tout est raconté au jour le jour dans le roman graphique. La répression ne fait que croître, les violences arbitraires s'enchaînent, soutenues par le gouverneur Rockefeller. Une répression si injuste et si violente, qu'elle provoque la révolte des détenus. Le 9 septembre, sous une pluie de coups des matons, les détenus parviennent à défoncer une grille de couloir. La mutinerie commence. Deux pleines pages en noir, somptueuses, pour saluer ce moment où, malgré la peur, les détenus ont dit non. Ils prennent quelques gardiens en otage. Aucun mal ne leur sera fait. La mutinerie va durer quatre jours. Quatre jours de débats, de réflexions, de rédaction de leurs revendications, mais aussi quatre journées au cours desquelles l'intelligence collective va réinventer ce que faire justice devrait vouloir dire. Mais le gouverneur Rockefeller ne l'entend pas de cette oreille. Ouvertement raciste, il veut l'écrasement de la révolte des Frères de Soledad. Des renforts de police sont envoyés, ainsi qu'un commando des forces spéciales. Big Black Smith a joué un rôle déterminant tout au long de ces quatre journées, débattant sans relâche et plaçant les otages sous sa protection. Il va de groupe en groupe et tente de discuter avec les autorités. En vain : seul un capitaine des forces spéciales, des années plus tard, s'excusera auprès de lui et lui témoignera de son admiration. Les médias pendant ce temps s'en donnent à cœur joie pour manipuler l'opinion publique, en faisant état de violences qui n'existent pas à l'intérieur de la prison. Le 11 septembre, Bobby Seale, leader des Black Panthers, se propose en médiateur. Rockefeller refuse. Le 13 septembre au matin, le gouverneur donne l'ordre aux snipers de se positionner. On coupe les caméras dans et autour de la prison, on éloigne les médias. Les forces spéciales entrent en action et repoussent les détenus vers la cour D, où les snipers les attendent. Le massacre peut commencer : l'armée tire. pour tuer. 2 000 balles en une heure. Les pages du roman graphique rendent compte du caractère conscient, ordonné, méthodique de cette volonté de massacre. Un massacre programmé par le gouverneur Rockefeller. Les prisonniers sont abattus, mutilés. Aux tirs vont succéder des heures de terreur : les flics entrent et se livrent à une vraie battue dans la Cour D où 1281 détenus sont pris au piège, blessés pour la plupart. Déjà, leur envie de torture se fait jour. Les survivants sont suppliciés sur place. Ordre est donné de capturer Franck Smith, qui va subir la torture une semaine durant. Quant aux otages, ils sont eux aussi abattus par l'armée : le médecin légiste, malgré la pression, ne parviendra pas à cacher qu'ils sont morts sous les balles des militaires, relevant des dizaines d'impacts sur chaque corps assassiné. Les médias mentiront et feront croire qu'ils ont été exécutés par les prisonniers. Le procès de ce massacre durera des années : ce n'est qu'en 2 000 que les mutins obtiendront gain de cause et encore, un verdict à l'amiable sera rendu, dédommageant tout juste les victimes. Rockefeller, lui, se verra félicité par Nixon et deviendra le 41ème vice-président des Etats-Unis...
Frank « Big Black » Smith, Big Black stand at Attica, de Jared Reinmuth et Améziane, traduit de l'américain par Laurent Laget, éditions Ponini Comics, janvier 2022, ean : 9791039101325.