QI, quand la réussite à un prix, Christina Dalcher
La famille idéale. Blanche évidemment, riche bien sûr et forcément cultivée. Elle vit dans un quartier en vu. Diplômée des grandes écoles, ses enfants fréquentent les meilleures. Par nécessité plutôt que par choix. Une nécessité qui s'est faite jour depuis peu, dans une société peu éloignée de la nôtre. Tous les citoyens sont pourvus d'un pass scolaire. Et d'un pass «Q» où se trouvent consignés le nombre de points obtenus, qui permettent de fréquenter telle école plutôt que telle autre, de vivre dans tel quartier, de gagner tant d'argent. La société est ainsi divisée, pour le Bien de tous, en trois tiers. Au sommet, la famille idéale. Le dernier tiers, lui, est exilé en province et voit ses enfants enfermés, c'est le mot, dans des écoles qui sont en fait des sortes de centres de redressement. Relégués, recevant une éducation carcérale, sans moyen, sans autre but que celui d'apprendre la soumission.
Elena raconte. Son mari, Malcolm, est l'inventeur du système des trois tiers. Un haut fonctionnaire bien dans sa peau, droit dans ses bottes : des tests «objectifs» déterminent chaque mois la position de chacun, des élèves à leurs enseignants. Une évaluation au mérite en somme. Il y croit. On a ainsi pu séparer les «bons» des «mauvais», sur une base scientifique et «morale» -les mauvais n'avaient qu'à être bons en quelque sorte, enfin, qu'à travailler dur. En très peu de temps et avec l'adhésion d'une majorité de la population, on a pu créer des écoles de niveau, des quartiers de niveaux, des villes de niveau, des régions de niveau. Au bas de l'échelle : le Kansas. Il n'y a plus rien là-bas. Juste des établissements de redressement où sont menées des expériences... à tout le moins douteuses.
Elena raconte donc l'histoire de sa famille. Bien notée. Ils sont riches. Installés dans un quartier huppé, ils bénéficient de points supplémentaires. Leur fille aînée réussie bien et fréquente la meilleure école. Mais Freddie, la plus jeune, 9 ans, rate un jour son test. Elle est aussitôt déclassée et par ricochet, toute la famille perd des points. Précieux... Il leur faut se séparer de Freddie, l'envoyer dans l'une de ces écoles du Kansas où l'on n'apprend plus rien et où seule compte les vertus disciplinaires. Ce à quoi Elena ne peut se résoudre. Malcolm ? Si. Il faut bien qu'il y ait des perdants dans ce système, pour qu'existent des «winner»... Et puis l'aînée réussit bien, autant se séparer de la branche morte. Il est ainsi prêt à se séparer de Freddie, mais aussi de sa femme, qui rate volontairement son test mensuel pour retrouver Freddie.
L'histoire est plus sombre encore. Par touches successives, toute la société a glissé vers une société de contrôle. Une société de mensonge, où l'eugénisme positif devient la règle : non pas l'extermination des plus faibles mais, pour qu'on n'ait pas à le faire, la stérilisation des femmes susceptibles de mettre au monde des enfants au QI trop bas...
Tout le récit est contaminé par cette métaphore nazie. Les écoles de relégation sont de couleur «jaune», et pour accompagner nos personnages, la grand-mère d'Elena, d'origine allemande, qui a connu les jeunesses hitlériennes. Un récit subtil cependant, qui n'adosse pas les décisions prises au rappel de l'idéologie nazie, mais laisse le récit se laisser doucement hanter par les souvenirs de la grand-mère, et la syntaxe par le vocabulaire allemand de la discipline sociétale. Un cauchemar ? Pas vraiment quand on songe à notre propre système éducatif, privilégiant les élites et leur reproduction...
Christina Dalcher, QI, quand la réussite à un prix, édition NIL, traduit de l'américain par Michael Belano, octobre 2021, 402 pages, ean 9782378910235. Lu sur épreuves non corrigées.