« Les insurrections qui viennent », Comité invisible…
En octobre 2014, le Comité invisible affirmait que les insurrections étaient là. Non qu’elles viendraient : elles étaient déjà là, il suffisait d’ouvrir les yeux pour les voir et en effet, il y avait eu celle de 2005, oubliée depuis, la bourgeoisie française vivant sa «fin» comme un état de plénitude retrouvé, sans se douter que 2005 n’était qu’un moment ouvrant aux révoltes à venir, comme celle (avortée) contre les retraites, comme ces débordements des Nuits Debout, puis des Gilets Jaunes, des insurrections, à n’en pas douter, enfilées comme les perles d’un collier qui de jour en jour s’enroulait au cou d’une République de plus en plus nauséabonde…
En 2014, le Comité invisible affirmait qu’elles arriveraient là où on ne les attendrait pas et tel fut bien le cas avec les Gilets Jaunes. Inattendues donc, fragiles, sporadiques. Un peu comme cette longue traîne de révoltes avant 1968, avant 1947-48 (le bassin minier du Nord Pas-de-Calais), avant 1936, avant 1848, avant 1830, avant 1789 : les révolutions sont toujours lentes à démarrer. Et coûteuses : rappelez-vous les morts en Gilets Jaunes.
En 2014, le Comité invisible affirmait également que ces insurrections auraient lieu partout dans le monde. Et c’est ce qui est arrivé. A l’époque, on regardait du côté du Printemps arabe, sans voir qu’en réalité, l’offensive néolibérale était mondiale, mais la résistance à cet ordre aussi. En 2014, le Comité invisible nous assurait que les temps de stabilité étaient morts : nous étions entrés dans une ère d’instabilité chronique. Quelque chose de sourd s’était mis en branle, on entendait partout sonner le tocsin.
«Une insurrection peut éclater à tout moment, partout», affirmait-il. Et partout des émeutes secouaient le monde. «Et mener n’importe où» : c’est le risque, encouragé par les pouvoirs en place, non les émeutiers. C’est le risque que nous découvrons, effarés, avec ce pouvoir moribond qui pousse à la roue fasciste, partout. Partout nous avons eu des révolutions avortées sitôt amorcées. En 2014, c’était celle, tragique, de la Grèce, que le Comité invisible mettait en exergue. Il y en a eu d’autres depuis. De l’Inde à la France où un soir de noël, des Gilets Jaune ont hésité à pousser la porte du château pour en déloger son monarque. Partout les aspirations des peuples ont déferlé en vagues successives de protestations. C’est aujourd’hui un mouvement de fond, qui ne s’arrête plus. Ici et là, les révoltes ont servi de marchepied à des opportunistes, comme Tsipas. Qu’importe : c’est le risque à prendre, c’est l’écueil premier, toujours. En France, nous avons eu Macron, le lègue de la fausse Gauche. Et avant lui Hollande, en charge de la liquidation du PS, et avant lui Mitterrand pour enterrer toute aspiration révolutionnaire.
Le Comité invisible affirmait en 2014 que nous n’étions pourtant pas, pour peu que nous levions la tête, les contemporains de révoltes vaines. Mais les témoins d’une vague unique, mondiale, de soulèvements communiquant imperceptiblement entre eux. Nous sommes les témoins d’une seule et unique séquence historique transnationale. Longue, certes. Mais 1789 a pris un siècle. Nous cheminons. Partout dans le monde des individus, des peuples, se battent contre ce monde obscène dont nous ne voulons plus. Et partout ces peuples se heurtent à leur héritage idéologique. Il leur faut encore se débarrasser de tout le fatras mental qui les aveugle. Pensez que Macron peut encore, avec l’aide des médias, nous faire croire à la théorie du ruissellement, dont même l’Amérique vient de se débarrasser !
«Ce n’est pas le Peuple qui produit le soulèvement, affirmait toujours le comité invisible, mais le soulèvement qui produit le Peuple». Nous nous sommes rassemblés, mais pas assez pour faire Peuple : les révolutions ne partent pas des idéologies, mais des vérités éthiques. Des vérités qui nous lient les uns aux autres. Occupy Wall street disait avant tout le dégoût de la vie qu’on nous fait mener. Si bien que ce qui est en jeu, c’est de savoir ce qu’est une forme de vie désirable. Sans une vision de ce que serait la victoire, nous ne pouvons qu’être vaincus. Pourtant, cette vision, les ronds-points la portait. Tout comme les communards, les Gilets Jaunes se souciaient les uns des autres, se confrontaient ensemble à ce monde de terreur qui a surgi dans la foulée de Valls.
Il n’en faut pas douter : l’heure vient, l’heure arrive, tout comme arrive celle des temps obscurs, celle de la bête immonde. Et plus l’heure approche et plus sonne l’alarme d’une rupture néo-fasciste de nos espérances. Car partout, aux yeux du néolibéralisme, il vaut mieux le fascisme qu’un peuple libre, prenant en main son destin. Mieux vaut un peuple qui se tient sage, qu’un peuple en liesse…