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La Dimension du sens que nous sommes

Le Massacre des indiens à Wounded Knee le 29 décembre 1890, Laurent Olivier

11 Mai 2021 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #essai, #essais

Il n’existait pas encore d’étude française sur le sujet, qu’un Howard Zinn avait traité magistralement aux Etats-Unis. La somme de Laurent Olivier est ahurissante, qui est allé jusqu’au narrer le récit des événements jour après jour, heure par heure, livrant à la fois le point de vue des Lakota et celui des militaires à travers des documents d’archives, des témoignages jusque-là oubliés. Au-delà, il a même tenté de reconstituer la réception de cette mémoire depuis les lendemains du massacre, puisqu’une commission avait été demandée pour faire la lumière sur ce qui n’était considéré que comme une « tragédie », lumière bien évidemment occultée par les mensonges et les incohérences des rapports militaires, jusqu’à nos jours : Washington n’a toujours pas reconnu sa responsabilité dans ce qui ne peut plus apparaître comme une tragédie mais un massacre, celui de plus de 400 hommes, femmes, enfants –on ne sait même pas exactement combien de Lakotas ont été massacrés à Wounded Knee.

Le Dakota donc. Les Grandes Plaines. 1830, les premiers colons « blancs » débarquent, à peu près au même moment où la France débute, elle aussi dans le sang, sa colonisation de l’Algérie. En 1850, ils arrivent en masse et se heurtent bien évidemment aux Lakotas installés là depuis des siècles.  La présence française est encore forte (Sitting Bull répondra en français à un entretien d’un journaliste du Figaro), mais la pression colonisatrice américaine l’est plus encore, qui va tout emporter sur son chemin. De 1851 à 1868, on assiste à la première étape de la dépossession indienne de ses terres. Les premiers « traités » sont conclus, qui ouvrent d’innombrables voies d’accès aux colons, qui installant leurs routes et le chemin de fer dans leur course à l’Ouest. Tout au long de cette course, des forts sont bâtis, pour protéger, disent-ils, les populations indiennes…La stratégie de conquête vaut la peine d’être étudiée de près : elle rappelle au fond la colonisation de la Palestine par Israël, ce long rognage des terres indigènes.  L’armée a tout d’abord parfaitement compris que pour anéantir ces populations et conquérir à peu de frais leurs territoires, il fallait liquider le système de fonctionnement des sociétés Lakotas. Le train contre les bisons. Pour cela, les couper de ce qui fondait l’économie domestique de cette société : le bison, pas seulement essentiel pour sa viande, mais pour son cuir, ses fourrures, ses cornes, etc. L’armée se lance alors dans la tuerie aveugle des bisons, qu’elle ne consomme pas et qu’on laisse pourrir au milieu des champs.  Anéantir les bisons, c’est anéantir les indiens. Des notes des officiers supérieurs le montrent bien, qui encouragent les soldats à faire des cartons (comme les soldats français en Indochine sur les éléphants d’Asie) et les troupes à mener des campagnes exterminatrices au prétexte de protéger la voie ferrée.  Dès 1870 se met en place cette stratégie d’anéantissement. Entre 1872 et 1874, 3 millions de bisons seront ainsi abattus. Leurs carcasses abandonnées, provoquant un formidable déséquilibre de l’écosystème des Grandes plaines, envahies soudain par les loups au long de ces immenses charniers. Les Lakotas voient ainsi leur société non seulement fragilisée, mais devenir la proie d’une famine qu’ils n’avaient jamais connues.  Mais cela ne suffit pas à les anéantir. De nouveaux traités sont conclus, toujours plus défavorables, qui limitent chaque fois un peu plus l’usage des terres. Peu à peu, les « indigènes » passent sous un autre statut : leurs terres, « reconnues » officiellement, deviennent américaines et sont placées sous la « protection » des Etats-Unis, jusqu’à ce qu’une Loi fédérale sur la Propriété vienne parachever leur dépossession. Le General Allotment Act de 1887 est un chef d’œuvre d’hypocrisie gouvernementale. Loi sur le lotissement, elle interdit la propriété collective des terres, qui était le ferment de la société Lakota. Les terres doivent être possédées individuellement. On divise alors l’immense territoire des Grandes Plaines en « fermes » attribuées nominativement à chaque famille habitant cet espace. C’est ne pas connaître le système de parenté Lakota, ou trop bien le connaître pour s’en débarrasser puisque dans ce système de parenté, adoptés (nombreux toujours au sein de chaque famille) et enfants du lignage font partie d’un même groupe familial. Or cette Loi va rendre impossible le régime des successions… Les Grandes Plaines sont cartographiées, découpées, attribuées nominativement, le gouvernement se réservant les terres réputées sans usage, celles des grands troupeaux de bisons. Mais attendez, ce n’est pas tout : on partage « équitablement » les terres entre indigènes et colons, puisque les deux vivent sur les mêmes territoires… Or, en 1890, on compte 230 000 indiens pour 8.5 millions d’américains : avec la famine liée à la perte des bisons, la démographie indienne s’est effondrée. Le rapport avantage ainsi les colons, qui s’emparent des terres Lakotas légalement. Ces colons mettent aussitôt en place, avec l’aide du gouvernement, un système extensif d’exploitation agricole. Ils ont les outils, la connaissance technique de ce système agricole, la culture qui va avec. Dès lors s’en est fini de l’agriculture Lakota, qui ne connaît pas ce système culturel d’exploitation des sols. Les choses vont très vite, ne laissant jamais aucun répit aux Lakotas, qui perdent leurs terres les unes après les autres, rachetées par les colons à bas prix. Les Lakotas se retrouvent sans ressource, sans emploi, sans nourriture. Démunis, l’état leur octroie des rations, qui d’année en année se voit diminuées, les laissant dans un état perpétuel de famine. Pour parachever le tout, on interdit les rites indiens : c’est qu’il faut « civiliser » ces « sauvages ». Les danses tout particulièrement, qui toujours poussent à la rébellion. On bâtit des écoles obligatoires que l’on confie aux congrégations chrétiennes : les enfants sont arrachés à leurs familles dès 5 ans, ils doivent apprendre et parler l’anglais et se convertir au christianisme… 40% de la population le sera très vite : l’accès aux rations en dépens…

1889. L’armée a quadrillé les Grandes Plaines de forts puissamment armés. Elle peut mobiliser des milliers de soldats, une artillerie puissante, en moins de vingt-quatre heures et les envoyer réprimer n’importe quelle révolte dans cet immense secteur. De nombreuses révoltes sont en effet matées dans le sang. Tant, qu’il n’y aura plus de soulèvement indien, du moins, aucun ne pourra plus aboutir : Sitting Bull s’est rendu déjà, les chefs de guerre indiens sont vieux et déposent tous les armes. En 1889, un « prophète » indien surgi : Wowoka. Il s’est approprié le Christ des Blancs. Il prophétise la rébellion Lakota et prédit la fin du cauchemar indien. Des milliers de pèlerins affluent dans les Grandes Plaines, où un rituel de danse se met en place pour saluer la prophétie : la Ghost Dance. Toutes les six semaines, elle se déroule sur trois jours entiers. Les indiens dansent leur révolte et leur salut ! Cette Ghost Dance inquiète. Trop de ferveur, trop d’énergie, trop d’enthousiasme. En Octobre 1890, on ordonne la fin des Ghost Dance. La Maison Blanche elle-même, avertie, l’a décidé. Le 12 décembre, alors qu’il n’est plus rien, ordre est donné d’arrêter Sitting Bull : aux yeux de la Maison Blanche, il reste le grand guerrier de l’imaginaire indien. Il faut tuer cet imaginaire. Le 15 décembre, Sitting Bull est abattu par des militaires paniqués devant sa tente. Les indiens comprennent le signal : une grande répression va s’abattre sur eux. Ils fuient, partout. 400 d’entre eux rallient Big Foot, le dernier grand chef Lakota –vieux déjà, malade, mourant. Ils sont moins de 500 autour de lui, face à des milliers de militaires blancs décidés à les abattre. Ordre est donné de mettre Big Foot hors d’état de « nuire ». Inutilement : Big Foot est convaincu que la partie est terminée. Mais une longue traque commence. Big Foot sait qu’il vaut mieux fuir. Il part sur les routes avec moins de 500 Lakotas, démunis, peu armés, la faim au ventre. Ils veulent rallier Pine Ridge, à 200 km de là. 200 km qu’ils feront à pieds. Vieillards, femmes, enfants, poursuivis par l’armée, bientôt encerclés à Pine Ridge, au pied de Wounded Knee. Encerclés, les Lakotas se rendent. Il faut les désarmer. On invente un piège : séparer les hommes des femmes, comme procèderont ensuite les nazis. Big Foot agonise. Les hommes sont rassemblés pour un « Conseil », entouré de lignes de militaires armés de fusils, de mitrailleuses, de canons. Une centaine. Qui rendent pour la plupart leurs armes. Mais un coup de fusil part, on ne sait trop d’où, des indiens ou des militaires. Le massacre commence. On tire à bout portant. On finit au corps à corps. 25 militaires seulement trouveront la mort dans ce « combat ». Les indiens sont décimés. Le camp, où s’inquiètent les femmes et les enfants, panique. Elles tentent de fuir, mais la seule issue non gardées est un ravin. Elles s’y jettent, avec leurs enfants, sous le feu des canons qui entrent en service. Les militaires les poursuivront à la baïonnette. Ils pilleront les cadavres, les profaneront, se laisseront aller à leurs jouissances morbides, abandonnant les corps comme ils l’ont fait des bisons, pour revenir quelques jours plus tard achever les blessés et les enfouir dans de grandes fosses. On ne saura jamais combien d’indiens ont péri là. 400 environ. Il y aura quelques survivants. Officiellement, l’armée parlera d’un « regrettable incident », félicitant les soldats d’avoir mis hors d’état de nuire « la bande à Big Foot ». la commission d’enquête conclura à la légitime défense : les indiens ont commencé à tirer, s’entretuant même, tant était dense le nombre d’hommes dans leur petit carré, alors qu’ils ne disposaient que d’une dizaine de fusils… Trois semaines après le massacre on découvrira encore des cadavres dans le ravin. Et on se taira définitivement sur la tuerie intentionnelle des femmes et des enfants. Jusqu’à nos jours.

Laurent Olivier, Ce qui est arrivé à Wounded Knee, le massacre des indiens le 29 décembre 1890, Flammarion, mai 2021, 522 pages, 23.90 euros, ean : 9782080252111.

North Dakota Studies : https://www.ndstudies.gov/

Lakota Studies : http://www.sintegleska.edu/lakota-studies.html

 

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