Jeanne D’Arc, Franck Collard
Passionnante étude de Franck Collard, qui s’est attaché aux sources, aux documents, aux faits tels que l’historien les construit, loin des passions consternantes. Magnifique étude qui nous livre une image de Jeanne d’Arc complètement renouvelée et à partir de laquelle il y aurait bien des champs à explorer désormais, ne serait-ce que ce rapport de la Pucelle à son corps, à son genre, à ses errances émotionnelles ou à sa folle obstination, qui semble relever d’un délire psychologique. Passionnante étude qui s’est aussi attaquée au plus problématique : son héritage. Jeanne donc. Pas du tout bergère, fille d’un notable de village mais certes, un jour brusquement transformée : elle refuse de se marier alors qu’elle est fiancée, et endosse la défroque d’un homme… Les voix ? Peu importe. Elle dit en entendre. Beaucoup en entendent de son temps. Charles VII et son entourage demeureront perplexes jusqu’au bout quant à leur réalité. D’autant que ces voix la conseillent mal lors de son procès de Rouen : elles n’y connaissent rien dans les subtilités du droit canonique et ne savent quelles réponses fournir... Jeanne veut donc manier l’épée. En fait non : se défaire de ses vêtements de femme. Devenir un redoutable conquérant ? Elle ne le sera jamais. Bouter les anglais hors de France ? Elle échouera. Reconquérir Paris ? Elle échouera. Elle échouera finalement beaucoup après avoir « délivré » Orléans et quelques villes du val de Loire, vite reconquises du reste par les anglo-bourguignons… Elle échouera donc beaucoup et ne combattra guère l’épée à la main, se contentant de brandir une bannière réputée « magique » par la comm’ du camp français. Et ça marche : les villes se rendent à la vue de son étendard. Enfin, « se rendent »… En réalité ces villes sont assiégées par les anglais et demeurent la plupart du temps coites, personne n’y osant une sortie sus à l’ennemi. Et cet ennemi campe tranquillement aux abords. Surgit Jeanne, soigneusement précédée par sa « légende » et surtout, son étendard que l’on dit magique, et un bâton non moins gandalfien, dont elle frappe le sol –c’est tout : ses trois coups suffisent à mettre en déroute ses ennemis… Un court laps de temps donc, ça marche. Puis Jeanne accumule les défaites. Le Roi ne se hasarde pas à la suivre tant ses propositions sont fantasques. Il a même durablement hésité à Reims, pour s’y faire couronner. Non sans raison : la couronne sur sa tête, son royaume n’en est pas plus récupéré… Il renoncera donc après Reims à en faire sa championne, lui refusera les armées qu’elle réclame, la priera de s’en retourner chez elle. Ce que Jeanne ne peut concevoir. Elle lève alors sa propre troupe, un temps prétend vouloir mener campagne contre les hussites, mais n’y va pas. L’histoire ne dit pas si les voix lui ont commandé cette nouvelle guerre qu’elle ne fait pas. C’est que Jeanne ne veut surtout pas réendosser ses habits de femme, alors qu’anoblie, elle pourrait trouver un bon parti et couler une vie heureuse. Mais non : elle s’est faite homme et sera donc mercenaire, recrutant des soudards pour poursuivre sa quête mais se faisant prendre à Compiègne sous son déguisement de chef de guerre ne disposant d’aucun aval royal pour mener ses attaques... Sans aucun aval : c’est que Jeanne n’intéressait que pour l’image qu’on en pouvait brandir, et encore : après sa mort, elle n’entrera même pas dans la compilation des Héraults de la France. Charles VII ne le souhaite pas. Captive, ce même roi fera semblant de s’en émouvoir, mais ne cherchera pas à la « racheter », comme on l’avait fait de Du Guesclin. Certes, la réputation de Jeanne est grande auprès du peuple de France, colportée par des diseurs de contes plus qu’autre chose. Brûlée en place publique, elle émeut ce bon peuple. Elle est si jeune, pensez : elle a 19 ans sur le bûcher, tremble de griller vive, demande qu’on la décapite plutôt, ne l’obtient pas, se résigne à cette mort atroce… Jeanne morte, l’entourage de Charles VII imagine de nouveau tout le parti que l’on pourrait tirer de son image auprès des braves gens crédules. D’autant que quelques années après, sa résurrection prend chair quelques temps : une supercherie aidée par les frères de Jeanne. Le peuple veut y croire, y croit, avant que l’imposture ne se dégonfle sur le commandement du roi… Mais la survivance du mythe qui commence de se forger et de prendre de l’ampleur donne à penser. Charles VII finance alors en cachette son procès en annulation, plus de 25 ans après sa mort. Du statut de sorcières, elle passe à celui de sainte -enfin, seul le XIXème siècle aura en faire une sainte… Personnage encombrant, on laisse sa légende filer dans le royaume. Elle s’y implantera peu à peu, avant d’être jugée stupide par un XVIIIème siècle avisé. Hélas, Michelet la récupèrera pour en faire une « fille du Peuple », sinon « l’irruption du Peuple dans l’Histoire »… Voici Jeanne saisie dans sa destinée populaire, commençant d’entrer dans le roman national, y entrant définitivement au cours de la guerre de 14-18, sous la forme d’une icône patriotique… Gauche, Droite se la disputent. Elle finira entre les mains de l’extrême droite, elle qui détestait l’idée même d’attouchement… Quelle destinée pour une femme qui préférait vivre en habit d’homme…
Jeanne d’Arc, La Fille du Peuple, miroir des passions françaises, Franck Collard, éditions Frémeaux & Associés, 23.89 euros, 4 CD, livret de 12 pages, ean : 3561302556925.