Frantz Fanon, Frédéric Ciriez, Romain Lamy
13 Octobre 2020 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #en lisant - en relisant, #entretiens-portraits
L’immense Frantz Fanon ! Le penseur des luttes coloniales du XXème siècle, mais plus pleinement encore, le penseur des effets psychiques de toute domination politique et sociale sur les populations asservies, la nôtre aussi bien, en ces temps de dictature (presque) réussie.
Août 1961, Fanon est parti rencontrer Sartre à Rome, pour lui demander de préfacer son essai : Les Damnés de la terre. Simone de Beauvoir et Claude Lanzmann sont présents. Sartre est alors ce philosophe qui tourmente les pouvoirs en place et dont la voix porte bien au-delà de nos frontières. Un «maître» pour Fanon, qui sait combien pèseront les mots que Sartre lui consacrera. Et pourtant très vite, c’est à un retournement que nous assistons. Fanon, très affuté, n’est pas du genre à plier devant une idole. D’emblée, il défie Sartre sur certaines de ses positions théoriques, qui tendent à essentialiser la condition «noire». Il n’y a pas d’âme noire, assène Fanon, et la «négritude» de Senghor n’est qu’une soumission de plus à l’ordre colonial. Les Damnés, affirme-t-il, n’est en outre pas ce genre de livre qui s’adresserait à une Gauche blanche en laquelle il ne croit pas. C’est un livre de combat qui démonte les logiques à l’œuvre dans les «colonies, ces lieux d’enfermement à ciel ouvert». Un livre qui décrypte les mécanismes psychiques d’enfermement pour aider des êtres humains à se libérer d’un «système sadique». Le nôtre aussi bien, encore une fois, et nous gagnerions à relire Fanon à l’aulne de ce que nous vivons ! Interpelé, Sartre aura le courage d’accepter la critique et de se remettre en cause, non sans mal.
Roman graphique, le récit s’ouvre alors à l’approche biographique de Frantz Fanon. Fanon se raconte, sans cesse encouragé par Sartre, qui cherche à comprendre sa personnalité et les fondements subjectifs de sa pensée. Fanon se raconte et c’est passionnant ! Il rappelle la France acclamant ses libérateurs américains, mais non ces libérateurs africains, qui ont payé au prix fort leur enrôlement. Fanon raconte sa jeunesse, ses engagements, la reprise de ses études, son entrée difficile dans la vie professionnelle, noire sous sa blouse blanche, la médecine et puis la psychiatrie, sa réflexion sur cette dernière et toutes les expériences qu’il tenta pour sortir le milieu hospitalier de son impasse, où plus aucun échange symbolique ne circulait. Il raconte enfin l’Algérie, sa mission de porte-parole du FLN, ne cessant d’établir un lien entre guerre de libération politique et guerre de libération psychique, établissant un puissant parallèle entre le soin psychiatrique et l’engagement révolutionnaire, qui commande d’abord une libération psychique. Oui, l’engagement révolutionnaire est un soin, les Gilets Jaunes en savent quelque chose ! En se resocialisant, ils se sont transformés en sujets sensibles et historiquement agissants, ce que le néolibéralisme leur refusait à tout prix. Fanon voulait rencontrer Sartre, mais en fin de compte et comme en témoigne Simone de Beauvoir, à Rome, c’est Sartre qui rencontra un géant.
Frantz Fanon, Frédéric Ciriez, Romain Lamy, éditions La Découverte, septembre 2020, 230 pages, 28 euros, ean : 9782707198907.
Newsletter
Abonnez-vous pour être averti des nouveaux articles publiés.
Pages
Catégories
- 511 Politique
- 486 en lisant - en relisant
- 292 essais
- 128 poésie
- 77 IDENTITé(S)
- 67 LITTERATURE
- 66 entretiens-portraits
- 53 DE L'IMAGE
- 50 essai
- 36 Amour - Amitié
- 16 théâtre
- 2 danse