Du gouvernement de la terreur au management par la terreur : La raison des plus forts, Chroniques du procès France Télécom.
28 Septembre 2020 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #Politique
Du 6 mai au 11 juillet 2019 se tenait le procès France Télécom, pour harcèlement moral ayant conduit au suicide, entre 2007 et 2014, de 60 à 90 personnes… De ce point de vue, le bilan est resté honteusement flou. Les syndicats Sud PTT et Solidaires s’étaient portés partie civile. Didier Lombard, ex PDG du groupe et Louis-Pierre Wenès, ex DRH, en compagnie de cinq autres cadres, étaient dans le box des accusés. Sereins, sinon goguenards. Eric Beynel, porte-parole de Solidaires, a convié chaque jour du procès un chercheur, un écrivain, un artiste, à suivre le procès. L’ouvrage est donc une sorte de récit d’audience, dessiné ou rédigé, au jour le jour, fait au tribunal de Clichy, en correctionnelle précisions-le, non aux Assises bien que le nombre de morts soit effarant. En cause : l’organisation du travail, pensée pour produire de la souffrance et provoquer des départs : France Télécom voulait dégager du cash flow, servir des milliards à ses actionnaires.
La souffrance au travail n’est jamais le fruit du hasard, rappelle Eric Beynel. Qui raconte le marché des télécoms en 1990, devenu le terrain de jeu des puissances financières. Le privatiser ne relevait pas d’une logique de modernisation ou d’efficacité, mais d’une logique de rapine : piller cette manne. Une logique de prédation qui devait tout naturellement déboucher sur la production de la souffrance au travail.
Patrick Ackermann ouvre le bal pour raconter la transformation de l’entreprise à marche forcée. D’abord le désastre de la gestion Michel Bon (voulue ?), le faux redressement qui s’en suivit et le règne du dividende sous Lombard. Leur mot d’ordre était simple : « par la porte ou par la fenêtre »… Par la fenêtre... Oui, il y eut de tragiques défenestrations, au point que dans les locaux de France Télécom, la direction fit grillager les fenêtres… C’est qu’il fallait se dispenser d’un plan social coûteux et donc, dégoûter les employés, les pousser vers la sortie par tous les moyens possibles. Economiser sur la masse salariale pour produire un gros cash flow… En 4 ans, 13.7 milliards de dividendes furent ainsi servis…
Le plus hallucinant dans ce procès au cours duquel les accusés ne risquaient pas grand-chose, ce fut leur conduite. Droits dans leurs bottes. Arrogants. Placides. Aucun remords. Un regret peut-être : que les employés n’aient pas tous compris l’excellence du dispositif mis en place. C’est qu’on a toujours besoin de l’adhésion des victimes dans les sociétés du management par la terreur, pour qu’il fonctionne sans à-coups. Seul Didier Lombard reconnaîtra « des gaffes »… « Des gaffes » : on parle ici de dizaines de personnes qui se sont donné la mort, de centaines d’autres en souffrance. De simples « gaffes »…
La Raison des plus forts, chroniques du procès France Télécom, coordonné par Eric Beynel, illustrations de Claire Robert, Les éditions de l’atelier, avril 2020, 21.90 euros, 326 pages, ean : 9782708253483.
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