Municipales de Vitry-sur-Seine : le maire légal l'emporte par 27 voix contre 5 000... (2/3)
Ne revenons pas sur le sujet : le candidat masqué aux municipales de Vitry-sur-Seine, s'est présenté devant le conseil d'installation pour en remporter le suffrage, soit : 27 voix, la majorité. Du conseil. Car il ne s'est pas présenté au scrutin municipal, où le candidat officiel l'a emporté avec 5 000 voix en sa faveur. Mais bien évidemment, les 27 voix du conseil d'installation comptent plus dans la balance que les 5 000 voix des électeurs vitriots. C'est la règle dans le code électoral municipal. C'est aussi désormais l'avenir du fantasme électoral français : tous les coups sont permis, pourvu qu'on gagne le pouvoir. L'occasion d'interroger ce code et surtout, ce qu'il met en place : la gouvernance municipale.
Cette gouvernance, contrairement à ce que l'on affirme, est présidentielle. Le maire est du reste, dès le premier conseil, son "Président"... Un président dont le pouvoir n'est plus politique sitôt élu : le maire relève, dans les textes fondateurs, du pouvoir administratif, non du pouvoir politique : on ne peut en contester l'usage qu'administrativement, non politiquement. C'est cette usage qu'il serait bon de comprendre, ce Pouvoir qui se caractérise par la clôture des espaces de décision politique. Sitôt élu, le maire nomme. Le rôle du conseil municipal et de son président est ainsi de clôturer les espaces de la décision politique. De réduire à néant le débat démocratique, stoppé net entre une majorité soumise à son chef et une opposition réduite à l'interpeller dans le vide. Pour vous en convaincre, visionnez les séances du Conseil Municipal de Vitry-sur-seine. De ce point de vue, Bell-Lloch est un modèle du genre. Les demandes de l'opposition n'ont jamais aucune chance d'aboutir, les règles du scrutin majoritaire sont là pour les mettre en échec. Cette pratique ne laisse pas que de surprendre : elle signe le registre le plus magistral de dépolitisation de l'assemblée municipale. Rien d'étonnant : cette assemblée tire ses pouvoirs du principe de libre administration, non d'un principe de droit politique . Et son chef, le maire, ne peut être démis de ses fonctions qu'en tant qu'agent de l'Etat et par le Conseil des Ministres !
Par ailleurs, le déploiement des instances intercommunales renforce ce registre : gouvernés par une assemblée d'élus au second degré (chaque municipalité délègue un nombre de conseillers selon son poids démographique), les élus eux-mêmes y perdent en autonomie de décision et les électeurs en souveraineté : l'éloignement des électeurs, déjà patents lors des réunions de l'assemblée communale, l'est davantage encore à ce niveau, pour devenir juste un lointain souvenir.
De quoi le maire, cette figure de la politique française qui a le plus résisté à la défiance généralisée envers la représentation, est-il le nom ? Au vrai, d'une politique administrative qui n'assume pas son nom... Aimé de ces électeurs, il est le premier régulateur de l'autorité de l'Etat, alors qu'il apparaît aux yeux de ses concitoyens comme un résistant local... Il est une institution administrative, non une instance politique. Et curieusement, cet élu qui n'est pas élu au suffrage universel, émane d'une Assemblée délibérante, mais dont il fait partie... L'assemblée communale, elle, détient le Pouvoir d'une clause de compétence (art. L. 2121-29 du code général des collectivités territoriales, issu de l'art. 61 de la Loi de 1884), mais dans les faits, elle ne l'exerce pas : c'est le Maire qui est l'agent permanent de la commune, et ce maire gère la collectivité en s'appuyant sur ses pouvoirs propres et sur la délégation que le conseil municipal lui donne au lendemain de son élection. Voyez cette délégation votée à Vitry-sur-seine : elle est énorme, couvrant aussi bien le foncier que la capacité d'emprunt de la ville... Où vagit la démocratie dans ce cadre ?
L'un des Pouvoirs essentiels du Maire est donc cette délégation générale que lui confie d'emblée sa majorité, et sur laquelle plus personne pendant six ans n'aura à se prononcer... Certes, il est en théorie soumis à l'exécution des décisions du conseil municipal. Mais n'est-il pas aussi, avec son cabinet, à l'origine de ces décisions ? Les délibérations du conseil elles-mêmes, ne sont-elles pas préparées par son cabinet ? Si bien qu'il est extrêmement rare qu'un Conseil rejette une délibération. Du reste, le système majoritaire lui assure un soutien sans faille. Quant au pouvoir de contrôle du conseil municipal, faute de moyens et de sanctions, il est nul : il se limite à un simple pouvoir d'information.
Nous sommes ici en présence d'un pouvoir verrouillé. Pendant six ans... Politiquement, le maire est littéralement "irresponsable". Et l'assemblée communale ne peut à aucun moment de son histoire constituer de contre-pouvoir. Le seul danger ne peut venir que de sa responsabilité juridique, puisqu'il engage la collectivité (recrutements, signatures des marchés, acquisitions foncières, etc.). Responsable de la gestion et du patrimoine communal, il court juste le risque de l'erreur comptable -ou bien d'une escroquerie avérée, et encore... Une responsabilité administrative que les maires ne se sont pas fait faute de dénoncer... La Loi du 10 juillet 2000 limite ainsi le périmètre de sa responsabilité pénale.
Certes, il doit composer avec sa majorité. Encore que : il peut à tout moment révoquer ou retirer une délégation. Et pour y pallier, il a tout le loisir de construire ses relais clientélistes. Les subventions qu'il accorde aux associations, souvent comme le fait du prince, raffermissent au demeurant ce clientélisme et lui permettent de construire son réseau de partisans. Et s'assurer le verdict des urnes à la prochaine élection, voire le construire patiemment.
Gouvernance et démocratie de Gilles Verpraet,
Revue : Villes en parallèle, année 2001, n°32-34, pp. 239
https://www.persee.fr/doc/vilpa_0242-2794_2001_num_32_1_1346