Vaincre Macron, Bernard Friot
Au sortir de la guerre de 39-45, le Peuple français avait réussi à imposer des institutions littéralement révolutionnaires qui mirent à mal le mode de production capitaliste. Les ouvriers plus particulièrement, avaient compris que le nerf de la guerre n'était pas l'argent, mais le Travail. Non seulement la maîtrise de l'outil de production, mais aussi celle de la production du salaire. Ils avaient compris que l'important n'était pas la répartition des richesses, mais la production de la valeur. La création du régime de sécurité sociale en fut la pleine illustration, tout comme l'invention de la Fonction Publique, relevant d'une conception du Bien Commun qui n'a cessé depuis de faire défaut à nos « penseurs ». Rappelons qu'en 1946, le régime général était géré par les travailleurs, et qu'en fait de gestion, ces travailleurs avaient réussi à mettre la main sur pas moins du tiers de la masse salariale ! Soit la création d'un outil d'ampleur macro-économique ! Capable de peser lourdement sur l'économie, dont on sait ce qu'elle fut au cours des Trente glorieuses, et grâce à cette pesée sociale : l'époque du plus grand enrichissement du pays. Une victoire portée essentiellement par la CGT à travers des luttes très dures, sinon souvent héroïques. Car non moins évidemment, dès 47 on devait assister aux attaques en règle de la bourgeoisie, souvent « socialiste », contre cette auto-organisation ouvrière. Imaginez un peu ce qu'il fallut de courage pour imposer le code du travail ! Pour imposer le contrat de travail à des bourgeois qui se refusaient à n'être que des employeurs, tenus par des principes, simples «contributeurs» à la production de la valeur économique. Imaginez le renversement cognitif rétrospectif que commandent aujourd'hui la récapitulation de ces actions souveraines, quand aux yeux de nos médias et de leur clique politique seules comptent les «richesses» prétendument créées par «les patrons» ! Imaginez cette époque, si lointaine désormais pour nous qui avons accepté que la qualification soit attachée au poste de travail et non à la personne qui l'occupe ! Imaginez deux secondes ce qui s'était levé soudain et nous avait collectivement enrichis, cette socialisation salariale de la valeur !
Dans les années 1980, sous l'égide des socialistes, s'est levée l'immense offensive néolibérale. Une offensive qui a porté sur la production de la valeur, justement. Tandis que les syndicats s'enferraient dans le tragique déplacement du terrain des luttes, à réclamer une meilleure répartition de la richesse (scruter les miettes), et non la revendication de la maîtrise du salariat. En prétendant combattre l'austérité, en faisant de ce combat le centre de leur pensée, ils n'ont cessé alors de nous enfermer dans l'impuissance politique. Avant Macron, ils ont emboîté son pas : regardez-le triompher à exiger la baisse des cotisations sociales, quand il faudrait au contraire les augmenter, refuser le système des complémentaires, de la CSG, du RSA. Car il ne faut jamais oublier que la cotisation est un élément du salaire. Or, qu'avons-nous obtenu ? De baisse des cotisations en baisse des cotisations, c'est au final le salaire qui a fini lui aussi par baisser. Entre 1960 et 1990, le salaire d'embauche a été divisé par deux ! Ce qui a permis de nous faire avaler la pilule du petit boulot plutôt que le chômage. Mais là encore, on a eu et la précarisation et le chômage ! Et la misère de masse en sus !
Il faut entendre Bernard Friot dresser les comptes et dévoiler le visage tristement imbécile de la Macronie, qui est la mise à mal de la cohérence de notre appareil productif -on l'a vu avec l'affaire des masques, des test, de tout le système sanitaire français réduit à rien. Macron, c'est la mise à mal de la finalité de cet appareil productif, qui a fait de la France le pays le plus désindustrialisé d'Europe, et donc le plus vulnérable, à l'orienter uniquement vers la production de dividendes. Car l'économie française n'est rien d'autre qu'une immense pompe à fric qui ne cesse de faire ruisseler l'argent des pauvres vers les riches. Alors quel est l'enjeu ? Bernard Friot en pointe un certain nombre -il ne saurait être exhaustif : une révolution n'est pas le fait des penseurs, mais d'un Peuple enfin debout. Produire tout d'abord, en faire l'expérience, en dehors des normes néolibérales. Conquérir ensuite ce droit de la personne, non celui du profit : c'est la personne qui doit être reconnue comme productrice de valeur, et en conséquence, il faut lier le salaire à la qualification de la personne, non à celle du poste qu'elle occupe. Et refonder la dynamique qui a conduit à l'invention de la Fonction Publique. Il faut en quelque sorte centrer la démocratie sur le travail. Sans doute créer des caisses de salaire pour que l'entreprise ne paie pas ses salariés, mais se contente d'y cotiser. Créer aussi des caisses d'investissement pour se débarrasser des crédits usuriers proposés par les banques. Car «Attendre ses ressources des aléas d'un marché qu'on ne maîtrise pas : (est accepter une) inutile violence».
Bernard Friot, Vaincre Macron, éd. La Dispute, collection Travail et salariat, novembre 2017, 130 pages, 10 euros, ean : 9782843032899.