Récidive 1938, de Michaël Foessel
Non pas le retour des années 30, mais une interrogation : qu’est-ce qui les a rendues possibles ? En avons-nous fini avec le nazisme, le fascisme, le totalitarisme ? De haute ou de basse intensité, comme ce qui se trame à peu près partout en Europe aujourd’hui et particulièrement en France, où la dérive autoritaire prend un tour carrément totalitaire –sous couvert de protéger l’état, le pays, non le Peuple et sa souveraineté… Qu’est-ce qui pointe, de ces années, dans la lente transformation du néolibéralisme en illibéralisme ?
L’année 38 donc. Celle des accords de Munich. Celle du choix du déshonneur et du renoncement. Pourquoi cette lâcheté ? Les démocraties l’étaient-elles vraiment ? Etaient-elles vraiment «indécises» ? Comme frappées par un mal qui leur est propre ? L’étude de Michaël Foessel vient scruter ce consensus trop vite adopté contre les prétendues faiblesses du système démocratique, quand en réalité, ce sont les attaques contre ce système qui nous ont conduit tout droit à la faillite morale du pays…
Ecrit en 2018, l’ouvrage prend au l’année 1938 pour fil conducteur d’une réflexion sur ce que nous devenons. Un Parallèle. Qui ne manque pas de pertinence, à prendre pour mesure l’état de la presse en 1938, placé en miroir de celui des médias français en 2020…
Cela commence le 12 mars 1938, avec l’annexion de l’Autriche. Rien dans la presse au lendemain de l’Anschluss… A peine un article pour s’interroger vaguement sur ses conséquences. C’est que la presse ne veut pas mobiliser contre l’Allemagne nazie.
Le 10 avril, Daladier devient Président du Conseil. Le 15 avril, le premier numéro de «Je suis partout», l’organe de presse fasciste, raciste, titre : «Il faut mettre les français au travail». Ce sera désormais le mot d’ordre de Daladier, des parlementaires et de la presse. Daladier va se consacrer à promulguer ses Lois scélérates sur le Travail, entrelardées de décrets félons sur le statut des étrangers… La France raciste exulte. Toute la presse l’y encourage.
La «chute» de Léon Blum, au demeurant, s’est faite aux cris de «les Juifs au ghetto !», proférés en pleine session parlementaire. La presse française n’y a vu qu’un sursaut vertueux «que tous attendaient », unanime qu’elle est à souhaiter une «mobilisation morale» des français… Le débat français portera donc exclusivement sur ce «sursaut moral», à l’endroit de la question du travail et de celle des étrangers. C’est qu’il faut reconquérir la confiance du Capital… Les français se seraient trop longtemps installés dans l’oisiveté… Et déjà, partout, la presse s’en prend aux colporteurs de «fausses nouvelles», concernant l’Allemagne et le nazisme… Contre le «laxisme» des dernières années, toute la presse se dresse pour exiger plus d’autorité. Peut-être même faudrait-il «suspendre» à ses yeux les élections, pour n’avoir plus à redouter les égarements du vote populaire… Entre eux les médias se disputent ce bout de gras, chacun y allant de sa demande d’une «République autoritaire».
Un Peuple au travail, régénéré par l’exclusion des étrangers et de leur fainéantise congénitale… Les riches s’emportent dans les colonnes des journaux contre les miséreux qui osent encore rêver d’un Front Populaire pour soulager leur paresse…
Daladier s’attaque alors à toutes les avancées que le Front Populaire, sous la pression du Peuple Français, a dû initier. On débat des retraites par exemple. Blum voulait faire de l’année 1938 celle des vieux. Mais aux yeux des riches, l’état des finances publiques ne le permet pas. Il faut au contraire soutenir le Capital, accroître la fortune des riches qui, par ruissellement, permettra d’améliorer le sort des pauvres… Daladier multiplie les attaques contre la journée de travail, impose aux métallos 5 heures de travail supplémentaire contre une dérisoire hausse de leur salaire : c’est qu’il faut casser la semaine de 40h.
Les Lois travail sont votées dans un climat de terreur, toujours précédées d’une campagne de presse stigmatisant les dérives de la démocratie. Ses «faiblesses»… Daladier taxe donc les bas salaires, augmentent les impôts des classes moyennes, autorise le licenciement de ceux qui refusent les heures supplémentaires, supprime les aides sociales, diminue le nombre de fonctionnaires qu’il remplace par des agents contractuels engagés sur des contrats civils temporaires. Il fait voter des Lois essorant les finances des départements, augmente les taxes sur les produits de consommation courante, le prix des tickets de métro s’envole, et il finit par abolir un samedi chômé sur deux.
Le 25 novembre, la CGT appelle à une grève nationale pour le 30 novembre 1938. Une formidable répression s’abat. La presse, unanime, fustige la CGT. Le gouvernement réquisitionne les fonctionnaires, fait arrêter les délégués syndicaux, les meneurs. Le matin du 30, les gardes mobiles sont partout. 1 000 manifestants sont arrêtés dans Paris. On emploie les gaz, 10 000 ouvriers grévistes sont licenciés. Toute la presse applaudit à l’échec de la CGT, embrayant le pas à l’extrême droite qui demande sa dissolution. Daladier et la presse française reçoivent le soutien de Hitler, qui se réjouit lui-même officiellement de cette défaite. Fin 38, l’Ordre règne sur la France. Mais la défaite est celle de la République Française. Défaite morale, politique, sociale. Le pays désormais sera gouverné par la force, non par le Droit.
Récidive 1938, de Michaël Foessel, PUF, avril 2019, 174 pages, 15 euros, ean : 9782130817505.