Violences de la nature, Gérard Garrabet
Australie. Des feux «dantesques». Un milliard de bêtes grillées vives. Des «méga feux», dont les commentateurs assuraient qu’à travers eux, la nature affirmait son rappel à l’ordre. Quel ordre ? Australie 2020 : des orages de feu. Un phénomène météorologique que l’on commence tout juste à étudier, d’immenses «pyrocumulonimbus» formés sur des dizaines de kilomètres de hauteur, capables de projeter des flammes à plus de cent kilomètres du foyer d’incendie. Un phénomène météorologique autonome, né tout à la fois de la nature du terrain et de son climat, et de l’action de l’homme. Violence de la nature, violence dans, sinon contre la nature, mais… Violences «de» la nature ? Le réel ne serait donc pas «idiot» ? Gérard Galloubet, dans ce qu’il dessine des rapports de l’Univers à l’homme –de l’homme à l’univers en fait-, semble partir non de ce qui est, mais de ce qui devrait être, s’attachant du reste longuement, dans son introduction, à la question de l’être : Au Commencement, l’Enfant, siégeant au centre du monde. Peut-être pas la meilleure façon de poser la question des violences «de» la nature –ou peut-être la seule façon de la poser, à la condition d’oublier ce que ces violences aurait en soi de violence.
Est-ce une violence que l’Univers soit à nos yeux incommensurable ? Mais la profondeur cosmique du ciel n’est que l’horizon de la peur des hommes, non une violence de la nature. Pascal aura beau s’interroger sur ce néant qu’est l’humain, il n’apportera jamais la preuve de la violence de cette nature. L’immense ironie de l’interrogation de l’auteur, c’est qu’au fond, c’est l’inassouvissement métaphysique de l’homme qui est ici en cause, non une quelconque «attitude» de la nature. L’ouvrage est dès lors à lire comme une «Confession», celle d’un homme ivre de physique, en proie au questionnement métaphysique. Celle d’un homme érudit, questionnant le syllabaire de la philosophie en y déployant une étonnante poétique de l’explication, même si l’ambition est encyclopédique. On trouve ainsi moins sous sa plume des définitions que des relevés polémiques (dans le bon sens du terme), installant son vocabulaire entre définition essentielle et description rhétoricienne. L’auteur s’est de la sorte installé dans un espace pensif qui n’est textuellement ni de la philosophie, ni de la littérature, mais peut-être quelque chose comme un mouvement de la philosophie vers le poétique. Sa direction ne va pas de l’être à la langue, mais de la langue à l’être, dans l’espoir d’ouvrir en fin de compte un rapport inventif au monde, le nôtre. «J’aimerais vous parler du contenu de ces autres mondes», finit-il par avancer avec prudence, levant sa réflexion sur un immense blanc : il reste des univers où tout peut nous sourire. Et d’autres –le nôtre-, où tout semble devoir grimacer désormais…
Les commentateurs des incendies australiens, finalement, en évoquant une «attitude» de la nature qui nous serait extérieure, mais que nous pourrions protéger, voire sauver comme « dehors », à la condition de maîtriser notre agressivité à son égard, nous rappelle peut-être eux aussi cette erreur qu’il y a à penser que la nature nous serait extérieure : l’environnement, c’est nous. Nous avons absorbé la nature, elle est ce genre humain dont les violences lui sont propres. La dimension éthique, platonicienne, de la violence, couvre désormais un bien grand horizon et dans cet affrontement que l’on décrit à tort, ce n’est rien moins que l’Homme qui est au centre des conflits écologiques qu’il érige.
Violences de la nature, Gérard Garrabet, éditions L’Harmattan, collection Ouvertures Philosophiques, 15 juin 2016, 324 pages, 33 euros, ean : 9782343089829.