La Liberté ou la mort, essai sur la Terreur, Sophie Wahnich
La Terreur… Celle de 1793. Admise une fois pour toute et sans procès, comme l’abomination sinon l’horizon d’attente de toute révolution populaire… Celle qui débuta en fait avec les massacres de septembre 1792, dont nos commentateurs avisés oublient commodément les raisons. Celle qui décapita le roi de France, le 21 janvier 1793, et dont ces mêmes commentateurs oublient combien il aura été félon. 1789, matrice du totalitarisme ? Nombreux sont ceux qui ont connu les parallèles outranciers de Marc Fumaroli, et ceux du bicentenaire confié à François Furet pour défaire l’imaginaire de la Révolution Française. Il y aurait eu la «bonne» Révolution (1789 à 1790), celle de Condorcet et de Sieyès), et la «mauvaise»… Dont il ne faudrait conserver que l’image de l’horreur. Quelle horreur ? Comment la France des années 80, celle de l’individualisme fanatique, aurait-elle pu comprendre, elle qui avait fait religion de défendre l’individu contre la nation, que la Révolution, elle, s’était enquis de protéger d’abord le Peuple souverain, menacé aux frontières, menacé dans son propre pays par toutes ces grandes fortunes qui ne rêvaient que de ré-asseoir au plus vite leur dictature ?
Eté 1793. Marat vient d’être assassiné. Les parisiens sont sous le choc et découvrent ces forces réactionnaires qui tentent de défaire ce qu’ils ont gagné sans parvenir encore à l’établir. Ils comprennent qu’il va de nouveau falloir «engager les corps» pour sauver le Droit, condition de leur Liberté. Le 10 août, les Tuileries sont prises. Le roi n’a pas désarmé les gardes suisses alors qu’il savait leur combat perdu d’avance. Le roi n’a pas voulu empêcher le carnage. Alors le peuple en armes s’est une nouvelle fois ré-emparé de cette Révolution dont on n’a cessé de vouloir le défaire. L’Assemblée est juste informée de cette prise. Le désaveu est total cette fois encore ! Le Peuple sait qu’il ne peut compter que sur lui pour faire avancer les choses. Tout comme pour la nuit du 4 août : il sait qu’il n’aurait jamais obtenu l’abolition des privilèges sans sa féroce ténacité. Août 1793 : les troupes étrangères se massent aux frontières pour venir restaurer la monarchie. Aucune réponse constitutionnelle n’est apportée au Peuple. En 1792 déjà ; le Peuple avait réclamé que l’on déclare «la patrie en danger». Mais, et ce n’est pas nouveau, toute la représentation française demeure dans l’ambiguïté. Les massacres de septembre, à tout prendre, n’auront été ni aveugles ni barbares : le Peuple s’est vengé, parce qu’on lui refusait sa souveraineté. « Le peuple a le droit de reprendre le glaive de la Justice lorsque les juges ne sont plus occupés qu’à protéger les coupables et à opprimer les innocents » (Marat). Robespierre lira correctement ces massacres de septembre comme un acte de souveraineté du Peuple. Alors certes, on opposera la Loi des suspects du 17 septembre 1793, la création d’un tribunal Révolutionnaire… C’est le mérite de l’essai de Sophie Wahnich que de les mettre en perspective : il s’agissait de remettre de l’ordre, de limiter au contraire les massacres, d’éviter un bain de sang généralisé. Et si l’on veut jouer à dénombrer les victimes, on découvrira bien assez tôt qu’elles furent beaucoup moins nombreuses que l’imaginaire réactionnaire ne le laissa entendre. La Terreur de Robespierre, au final, a d’abord contraint les députés à pleinement reconnaître la Souveraineté du Peuple et à construire des bornes à la violence populaire. « Soyons terribles, affirmait Danton, pour dispenser le Peuple de l’être». Le souci de voir le Peuple se réaliser dans sa souveraineté n’était pas un combat gagné d’avance, ni une simple déclaration de principe. Son logos politique avait émergé dès les Cahiers de Doléances, mais les représentants de l’ancienne nation ne cessaient de l’empêcher de devenir le véritable acteur de sa souveraineté –ce dont nous avons hérité aujourd’hui, nous, les héritiers de Thermidor, qui enterra l’idée de souveraineté populaire.
Sophie Wahnich, La Liberté ou la mort, essai sur la Terreur et le terrorisme, La Fabrique édition, janvier 2003, réédition juin 2017, Paris, 112 pages, ean : 9782913372252.