La belle journée de la vie d’un impuni…
Il tue (Rémi, Adama, Zineb, Steve, Cédric, etc. …), mutile, éborgne, édente, ouvre les crânes, casse les jambes, les bras, les os, déchire les poumons, gaze les bébés, les enfants, les femmes, les vieillards, les hommes, frappe, cogne, bouscule, insulte et jouit, littéralement, de son impunité. Ses actes de cruauté, il n’en interroge jamais l’histoire : il est en dehors de l’Histoire. En dehors du lien social : par ses actes de cruauté, il est sorti de la communauté des hommes pour entrer dans celle des barbares. Bête féroce à tête humaine, il est littéralement devenu un être monstrueux. Et il le sait : il cache son RIO, il dissimule son visage sous une cagoule, ses exactions par la haie de boucliers que ses « camarades » lui offrent. Il sait. Non qu’il en ait honte : il ne fait que se prémunir de toute action de la Justice à son encontre. Car il sait. Il a conscience de sa faute. D’une faute dont il ne sait pourtant trop dans quel ordre la situer, si c’est une faute morale ou une faute de goût. Mais il sait.
Il cache son Rio, dissimule son visage, s’engouffre dans les recoins des portes cochères pour martyriser ses victimes. Non qu’il ait honte : il veut échapper à son image, à cette image dégradante qu’il donne de lui et dont il sait qu’elle peut lui être préjudiciable. Il sait, il masque son Visage, l’escamote parce que ce Visage porte la marque de l’Absolu qui règle et désigne notre relation à autrui. Parce que le Visage (lisez Lévinas) EST l’expérience d’autrui. Alors intuitivement, il gomme ce Visage, pour ramener cette expérience au niveau de barbarie voulu. Il déshumanise son propre Visage pour mieux dégrader sa victime et la porter au même niveau d’obscurité que lui. Il sait, il se travestit parce qu’il a conscience d’être en dehors du Droit et jouit de sa cruauté –il n’a pas conscience d’être injuste : ce serait adopter un point de vue moral sur son comportement et ça, il ne le peut pas. Cela nuirait à sa jouissance. Cela provoquerait une rupture des équilibres conscient / inconscient. Lui nage en eau trouble, la condition de sa jouissance.
La violence policière, quand elle se prend pour sa propre fin, conduit la communauté des hommes à disparaître. Au-delà de toute régression animale que la jouissance de l’accomplir procure, elle signe cette dialectique redoutable qui conduit un peuple libre à l’esclavage. Par cette violence impunie, le flic s’arrache au discours de la Loi et œuvre à disloquer la société dont il ne fait plus partie. Détruite, déjà, par le niveau des violences acquises et leur impunité, chaque flic est ainsi encouragé à prendre sur lui l’initiative de la terreur. Chaque flic est appelé à jouir d’être devenu effrayant. D’être devenu une chose effrayante. Effarante. Une figure de l’effroi dans sa tenue de combat. Une figure de l’effroi qui repousse les limites du sacré : celle de la vie humaine. Quand l’impunité règne, il n’y a plus d’interdits. Or le sacré ne survit que protégé par des interdits.
L’impunité policière encourage chaque flic à franchir personnellement, individuellement devrions-nous dire, car ce faisant il abandonne toute dimension de « personne », engage donc chaque flic à franchir cette limite où plus rien n’est sacré, pour s’aventurer dans l’illimité de la régression où la violence n’a plus même de marques, n’est plus même un marqueur, n’est plus même une violence mais le lieu où exterminer devient possible. Dès le premier pas franchi, l’impunité ouvre à tous les autres, jusqu’au bout de l’horreur. Par sa puissance sur les corps qu’il martyrise, le flic impuni fait du corps humain le lieu où peut s’exprimer une jouissance sadique. Par ses actes de cruauté, le flic impuni détruit l’existence « juste ». Il dépouille le citoyen de ses Droits, de son identité politique, de son corps politique, pour transformer ce corps en matière biologique, quasi fécale : un déchet qu'il peut traiter à sa guise. Or le corps de tout Homme incarne la Déclaration de l’Homme et du Citoyen. Dépossédé de son existence politique pour être ramené à sa matière biologique, ce corps ne peut survivre. Ce n’est donc rien moins que le Salut Public qui est en jeu aujourd’hui : l’impunité policière dissout le lien social et politique. Il faut déclarer La Patrie en Danger ! La Loi outragée ! Car le fondement de la vie Publique ne peut être que politique, et cette impunité sort la police du politique pour la verser au registre du barbare.
photo recomposée d'après celles de Magnin / Lucas.