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La Dimension du sens que nous sommes

Mort contre la montre, Jorge Zepeda Patterson

6 Septembre 2019 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #en lisant - en relisant

Le Tour de France. «Je veux le maillot jaune»... A n’importe quel prix. Dans le Tour, sans parler des fameux maillots, pour gagner une étape les uns sont prêts au suicide, les autres au meurtre. Ou à la trahison. Marc, franco-colombien, trois poumons de naissance, n’a jamais songé ni à trahir, ni à se suicider aux produits dopants. Dans l’équipe de Steve, il sert son leader depuis des années avec un dévouement qu’on ne connaît à nul autre. Steve, l’américain. Qui sans lui perdrait chaque année le tour dans les étapes de montagne, où Marc, le grimpeur, se sacrifie sans broncher, l’entraînant dans sa roue pour le poser littéralement devant lui sur la ligne d’arrivée. Le Tour donc. 6 000 calories par jour. Marc n’a rien connu d’autre que cette vie, pour et par le vélo. Et cette année encore, Marc n’entend pas déroger à sa règle : il fera gagner Steve. Malgré les tentations : Steve est au meilleur de lui-même, mais tout le monde sait que Marc est plus fort que lui, plus fort que quiconque sur ce Tour. 198 coureurs au prologue. Le Tour en verra 52 abandonner. Epuisés. Meurtris. Et puis… tout se délite très vite avec cette mort suspecte d’un autre leader, qui va installer une sale atmosphère dans la course. Un commissaire, dépêché sur place, demande à Marc d’espionner pour son compte. L’assassin est dans le Tour. Car il s’agit d’un meurtre. Et le coupable est parmi eux. Un coureur peut-être. Ou bien un technicien. Ou bien Marc lui-même ?... On va suivre désormais étape après étape l’évolution de l’enquête, rassasiée de crimes qui s’enchaînent férocement sur la Grande Boucle. Tout autant qu’on va suivre avec passion, pour mieux tenter de comprendre les raisons de ces crimes et identifier les coupables, les courses, les stratégies et les ambitions. Ce jusqu’à la dernière étape, jusqu’à la dernière minute de cette dernière étape ! On songe ici au coup de théâtre du Tour 1989, Fignon perdant dans cet ultime contre la montre le maillot jaune pour huit petites secondes derrière Greg Lemond… Ahurissant dernier acte d’une tragédie cycliste sans comparaison dans l’histoire sportive. Le roman est donc réglé comme une horloge, multipliant les coups de théâtre, ménageant le suspense jusqu’à l’ultime conclusion, à la dernière ligne de la dernière page. Mais, mieux qu’une simple habileté d’écrivain, il nous emporte aussi par l’analyse sans pareille qu’il nous offre de cette immense compétition aujourd’hui défaite sous des tombereaux d’intérêts financiers. Les magouilles bien sûr, le dopage, les accords entre équipes, mais pas que : on éprouve toutes les batailles, tous les questionnements du peloton, les sacrifices des «petits» pour qui finir le Tour est une bataille. Car si on joue au foot, en revanche on ne joue pas dans le Tour. L’effort y est surhumain, avec ou sans médication criminelle. Le Tour reste un combat contre soi-même, une guerre contre tous. On est dans le roman avec les équipiers obscurs, tout autant qu’avec les vedettes, depuis les souffleries embarquées dans les camions pour profiler les positions, avec tout le barnum de l’encadrement scientifique des coureurs, jusqu’aux moments de solitude des uns et des autres. Quant au fil du récit, peu à peu se dessine une victoire improbable. Et l’on se dit en refermant l’ouvrage, qu’il a saisi le meilleur thème que l’on pouvait imaginer pour un polar, tant l’adéquation est forte entre le genre littéraire choisi et le sujet du roman. C’est un grand Tour de France que nous offre Patterson, tel que la société du Tour ne sait plus en produire…

Jorge Zepeda Patterson, Mort contre la montre, Actes Sud, coll. Actes Noirs, traduit de l’espagnol (mexicain) par Claude Bleton, juin 2019, 332 pages, 22.80 euros, ean : 9782330121976.

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