Le théâtre des merveilles, Lluís Llach
10 Septembre 2019 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #en lisant - en relisant
Superbe biographie romancée du baryton Roger Ventós, né à Sète en 1939, d’un père tirailleur sénégalais et d’une mère espagnole, Mireia, anarchiste, réfugiée en France. Avant de mourir, celle-ci le renvoya adolescent à Barcelone, où vivait son frère. Il sera élevé dans les coulisses d’un cabaret : le théâtre des merveilles. Un cabaret de variétés ouvert en 1935, où Mireia fut elle-même recueillie pour y devenir la première femme machiniste de l’histoire du théâtre. Anarchiste, charismatique, quand vint juillet 36, c’est elle qui prit en main la salle au nom de ses camarades comédiens et techniciens. Les anciens propriétaires acceptèrent d’intégrer l’équipe comme simple collaborateurs : le lieu était toute leur vie. Le théâtre fut donc collectivisé. Il changea de répertoire, pour offrir un mixte étrange de chants révolutionnaires et de scénettes de variétés. Un théâtre dont la charte reconnaissait expressément la dignité des danseuses érotiques, qui officiaient magiquement en entrecoupant leurs numéros de déclamations révolutionnaires ! Puis en 37 l’horreur s’abattit sur la ville. Mussolini bombardait Barcelone. Le théâtre resta ouvert coûte que coûte, offrant refuge et divertissement jusqu’au putsch de Franco. Mireia détruisit alors ses archives et rédigea un faux pour disculper les anciens propriétaires de s’être compromis avec la Révolution. Grâce à ce faux, ces derniers purent recouvrer leur bien. Mais Mireia, qui était connue pour son activisme révolutionnaire, dut prendre la fuite. Enfermée au camp d’Argelès, c’est là qu’elle rencontra le futur père de Roger : un tirailleur sénégalais affecté à la garde du camp, qui la protégea avant de l’aider à fuir l’enfer du camp français. Elle finit par s’installer à Sète. Concierge, chichement rémunérée, se sacrifiant davantage encore pour permettre à son fils de prendre des leçons de piano et de chant. Lluís Llach raconte avec ferveur cette vie, son sacrifice, cette histoire, l’Espagne anarchiste, la terreur de Franco, l’installation du jeune Roger dans le théâtre où vécut sa mère jeune, toute l’humanité d’une entraide que les poussées d’une Europe vile ne purent abattre. C’est là, dans ce lieu littéralement impropre à toute culture classique, que Roger Ventós put surgir, avec la complicité et l’admiration de danseuses nues conquises par sa passion. Et c’est depuis ce lieu que Roger Ventós conquit à son tour les plus grandes scènes internationales, n’oubliant jamais d’où il venait, s’interrogeant avec une profondeur inouïe de pensée sur l’articulation si délicate entre l’homme qu’il demeurait et le personnage qu’il devenait, simple outil de promotion dont il se méfia toute sa vie plutôt que de s’y laisser engloutir. Au passage, bien évidemment, compte tenu de la personnalité de l’auteur, le récit s’envole en magnifiques réflexions sur la musique et le chant.
Lluís Llach, Le théâtre des merveilles, Actes Sud, traduit du catalan par Serge Mestre, mai 2019, 388 pages, 23 euros, ean : 9782330121327.
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