Deux Khâgneux sous de Gaulle, correspondance Dominique Noguez, Michel Taillefer
4 Septembre 2019 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #en lisant - en relisant, #entretiens-portraits
Ils sont morts tous les deux, Noguez le 15 mars 2019, Taillefer en 2011. Du Général, il ne sera à vrai dire guère question tout au long de cette correspondance piquante, souvent drôle. En septembre 62, nos deux compères intègrent Louis-le-Grand pour deux ans, puis embarquent à Normal’ Sup, Ulm. L’édition de leur correspondance débute l’été de leur concours. Dominique Noguez, volontiers ironique, note déjà avec une lucidité toute surprenante une réflexion de Husserl qui résonnera comme une règle de vie tout au long de leur parcours : «suspendre l’assentiment au monde»... C’est de cela qu’il s’agit d’un bout à l’autre de leur échange. Clore l’ère de la Nausée, mettre fin à la littérature engagée. La vacherie élégante, ils veulent du soleil, et inventer leur style, aventureusement. Rarement admiratifs des auteurs qui les ont précédés, sinon, curieusement, de Sartre, aperçu un soir de l’année 64 à la librairie la Une, à Saint-Germain. Pour le reste, la vie pas à pas de normaliens de l’époque, dans la crainte d’Althusser, capable de vous «passer à tabac intellectuellement». Des nantis assurément, goûtant sans scrupule la volupté de leur condition. Et puis Noguez prolixe, phagocytant la correspondance pour la rabattre sans cesse sur son désir d’écrire, pressentant parfois son «frôlement merveilleux à la surface fuyante de nos vies». De l’époque, on ne saura pas grand-chose. Mai 68 passe. C’est tout juste s’ils excipent les CRS et le «tombeau d’ordures» qu’ils déversent sur le pavé parisien. A peine évoquent-ils les cinéastes rebelles de Cannes, Godard, Truffaut : eux sont déjà en route pour le Canada, où le cinéma underground resplendit. Mai 68 passe, ne reste à leurs yeux qu’une France pathétique, anesthésiée, patriotico-cocardière», et «les grandes chialeuses de l’art bourgeois» : Sollers, déjà… Reste le sublime poème de Noguez pour maintenir en vie le souvenir du «petit bruit tranquille des bars de fer brisant le bitume», qui s’estompe tandis que déjà, quelques fatalités promises s’abattent sur les générations en marche. On ne peut que saluer l’admirable conscience historique de Michel Taillefer pointant le tragique qui s’avance dès 1969 : « Nous sommes dans l’après-gaullisme, c’est-à-dire le pré-fascisme ». La France, depuis, non seulement a renoué avec ses démons fascistes, mais est devenue un pays sans vergogne acharné à réprimer toute liberté.
Deux Khâgneux sous De Gaulle, Dominique Noguez, Michel Taillefer, correspondance 1963 – 1973, édition Plein Jour / Anne Carrière, septembre 2019, 392 pages, 22 euros, ean : 9782370670410.
Newsletter
Abonnez-vous pour être averti des nouveaux articles publiés.
Pages
Catégories
- 511 Politique
- 486 en lisant - en relisant
- 292 essais
- 128 poésie
- 77 IDENTITé(S)
- 67 LITTERATURE
- 66 entretiens-portraits
- 53 DE L'IMAGE
- 50 essai
- 36 Amour - Amitié
- 16 théâtre
- 2 danse