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La Dimension du sens que nous sommes

Le cycliste de Tchernobyl, de Javier Sebastiàn : Bienvenue dans la fin du monde…

13 Mai 2019 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #en lisant - en relisant

C’est l’histoire d’un mensonge d’état qui montre les crocs. Il faut nous y habituer : les dérives totalitaires des états occidentaux nous y mènent tout droit. C’est l’histoire d’un scientifique lanceur d’alerte, condamné à mort parce qu’il empêche l’économie néolibérale de déglutir le monde. C’est l’histoire de rescapés, d’une guerre l’autre, que ces économies condamnent à la misère. C’est l’histoire de ces samosiol retournés vivre à Tchernobyl. C’est l’histoire de villes fantômes que les médias ont ensevelies sous des tonnes de mensonges et de silence. C’est l’histoire d’une tragédie qui dure encore, d’une tragédie dont on ne dit plus rien, parce que les nôtres sont à venir. C’est l’histoire d’êtres humains qui ne peuvent littéralement plus respirer et dont la langue noircit avant de tomber et dont la peau se met à cloquer et qui crachent une salive jaune en attendant de mourir. C’est l’histoire d’une civilisation, la nôtre, dont les fondements sont criminels. Et qui vacille, emportant tout dans sa chute, et le monde et les hommes. C’est l’histoire de la plus belle avenue du monde, indifférente à la mort qui rôde jusque sous ses pavés. C’est l’histoire de millions de kilomètres carrés abandonnés aux pilleurs qui ne se privent pas de ramener loin de Tchernobyl les fruits irradiés de leurs pillages pour les fourguer dans toute l’Europe marchande. La mort et le mensonge, toujours. Tchernobyl. La terre est morte, les plantes sont mortes, les animaux meurent, les êtres humains meurent. Mais de plus en plus de ruraux retournent vivre dans ce cimetière à ciel ouvert. De toute façon, ils n’ont aucun lieu où aller. Ailleurs, ils survivent à peine : l’économie néolibérale ne veut plus d’eux. Ni l’Europe. Ni la France, suspicieuse à l’égard de tous ceux qui viennent d’ailleurs. C’est l’histoire de la police de Sarkozy, annonciatrice des violences policières sous Macron. C’est l’histoire de millions de morts en devenir. De meutes de chiens s’attaquant aux survivants, déterrant les cadavres pour les dévorer. C’est l’histoire d’un cycliste, savant, samosiol, qui a parcouru en tous sens ces terres radioactives pour y sauver ceux qu’il pouvait sauver et relever des mesures dont le gouvernement ne voulait pas entendre parler. Pour 400 dollars, des touristes peuvent venir sur ces terres photographier l’ampleur du désastre, approcher, de loin, leurs habitants jaunâtres qui y agonisent. C’est l’histoire d’une ville refuge bâtit à la hâte par les autorités à 38 km de la centrale. Ces autorités avaient d’abord affirmé que les rescapés n’y craignaient rien. A force d’y mourir, ces derniers ont fini par comprendre qu’il n’en était rien. Les architectes de cette ville champignon étaient même allés jusqu’à bâtir chaque rue à la physionomie de la mémoire des cultures russes… Un hymne à la Russie éternelle…

C’est l’histoire de Vassia, qui finira par fuir le plus loin qu’il le pourra après avoir pointé ses mesures dont les autorités ne voulaient pas. Et pour cause : de semaine en semaine, ces autorités relevaient le seuil acceptable de radioactivité pour les enfants, passant très vite de 10 becquerels à 110, puis augmentant au gré des décès… Tous les enfants saignaient du nez, se fatiguaient vite, mais les journaux télévisés les montraient heureux et insouciants à l’école en offrant le spectacle de séquences hachées : les enfants pleuraient beaucoup et ne savaient pas pourquoi. Dans les villages, il y avait de grandes bandes rouges au sol pour délimiter les endroits contaminés. Mais il y en avait tellement qu’on ne savait plus où marcher. Quelques jours après «l’incident», un ministre avait juste recommandé aux gens de tenir leurs fenêtres fermées et de boire beaucoup de lait. Puis quelques jours encore plus tard de ne plus boire de lait. Que de l’eau. Beaucoup d’eau. Puis d’éviter l’eau. Nos dirigeants ne savent rien. Jamais, Du tout. Ils mentent et improvisent. Toujours. Partout. Et chaque fois que quelques chose de grave a lieu, leur seul souci est économique, pas humain. Tchernobyl. En 1986. Il y avait en même temps la coupe du monde de football, à Mexico. On encouragea alors les chaînes de télévision à parler beaucoup de foot. Et aux gens de mener une vie normale. Vassia était scientifique. Quand le graphique s’est mis à brûler, on a pensé mobiliser 1 millions de volontaires pour sauver Tchernobyl d’un désastre plus grand : celui d’une explosion nucléaire qui aurait anéanti l’Europe. Cette explosion n’a pas eu lieu. On ne sait pas pourquoi. Très vite, ni robots ni humains n’ont pu approcher de la Centrale. Quand l’écologie est une farce, quand elle n’est qu’un élément de langage électoral,  le pire est toujours à craindre. Nos dirigeants sont des incapables qui ne réfléchissent jamais aux conséquences. Ne reste que leur stupidité confuse, leur énorme bêtise à front de taureau, leurs propagandes vulgaires qui nous emportera tous, si l’on ne fait rien. En 1992 il restait 3 000 villages contaminés aux alentours de Tchernobyl. On changea alors les normes des mesures pour «protéger» le peuple et ramener ce nombre à quelques dizaines... Vassia s’appelait Vassili B. Nesterenko. Physicien du nucléaire. A l’époque, on pourchassait, emprisonnait ou tuait les lanceurs d’alerte qui osaient dire la vérité sur l’état réel des centrales en Russie. Aujourd’hui, comme en France, on se contente pour l’heure de les jeter en prison, d’en faire le procès. La Loi sur le secret des affaires leur interdit toute dénonciation. Et la presse s’est mise au service de cette propagande criminelle. A Tchernobyl, les télévisions avaient même trouvé des gens pour affirmer que : «un peu de radioactivité, c’est bon pour l’être humain». Et on porta les normes de l’irradiation à 50 fois ce qu’elles étaient avant «l’incident». Quelques années après, on a fini par découvrir une petite note confidentielle indiquant que les fruits, les légumes, les viandes qui provenaient de la région de Tchernobyl ne devaient pas être commercialisés à Moscou. Ailleurs, oui. Cette civilisation ne peut que mal finir. Bienvenue dans la Fin du monde. Un roman. Que peut le roman ? Ce que Hannah Arendt pointait : «c’est l’imagination et non la raison, qui crée le lien entre les hommes». Sa force est centrale, «une force capable d’imaginer que je ne suis pas moi», capable de me représenter le monde dans une autre perspective. Il y a urgence, aujourd’hui, à relire cet ouvrage et imaginer une autre sortie que celle d’une Apocalypse qui ne sera même pas «joyeuse»…

Le cycliste de Tchernobyl, de Javier Sebastiàn, éditions Anne-Marie Métaillé, septembre 2013, collection Bibliothèque Hispanique, 208 pages, 18 euros, ean : 978-2864249375.

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