Jojo le Gilet Jaune, Danièle Sallenave
Les petites gens : le monde d’où elle vient. Dont elle reconnaît n’être plus. Il s’en faut de beaucoup au demeurant. Mais qu’elle tente de défendre. On se dit que c’est bien tout d’abord, qu’on a peut-être besoin qu’un tel livre existe. Bon, certes, elle a bien toujours cette fâcheuse tendance à vouloir faire le tri entre les bons et les mauvais Gilets Jaunes -les casseurs. Alors on excuse en se disant que cela sert une bonne cause. Les bons ? Ceux qui souffrent. La souffrance serait le bon marqueur. Pas la colère ? Danièle Sallenave ne va pas jusque-là, même si elle arrive à comprendre, parfois, leur colère et ses excès. Les Gilets Jaunes ? Il faut relire Dickens, nous écrit-elle. Et d’autres, à foison. Peut-être. Peut-être pas : il suffit de tendre l’oreille et d’écouter les GJ parler en direct d’eux-mêmes. Bon, elle ne leur donne pas la parole, mais s’en fait une idée. On se dit que c’est… peut-être pas aussi intéressant que cela finalement, ce bouquin… Les « invisibles » y restent invisibles. Même si elle affirme les connaître un peu, ces français des ronds-points. Elle en connaît un du reste, dont elle ne parle pas vraiment, mais qu’elle salue à chaque fois qu’elle y passe. C’est déjà ça se dit-on. Alors voilà, c’est tout simple : les Gilets Jaunes veulent vivre dignement de leur travail, nous dit-elle. Mais cette France périphérique se heurte au mépris des nantis. A un moment, elle touche à quelque chose de profond, de grave, quand elle affirme que leur violence ressemble à celle des colonisés. Mais elle ne pousse pas l’argument. Dommage. Et puis, elle qui se dit de gauche, de cette gauche qui a tant trahi, pas celle de Mélenchon, qu’elle juge trop « radicale », ne parvient pas non plus à pousser très loin la critique de cette trahison. Sinon que cette Gauche caviar a oublié que le Peuple était souverain. La France des « petits blancs », selon son expression, serait ainsi comme le retour du refoulé démocratique. On aimerait beaucoup qu’elle poursuive l’analyse, mais elle n’y va pas. Elle se tient en lisière, à la lisière de sa posture de femme de Lettres, déplorant qu’il n’y ait pas de traces de revendications culturelles dans les discours des Gilets Jaunes. La Culture… On se dit que tiens, en parlant de culture, au fond elle aurait dû s’interroger sur les raisons de cette publication, dans sa forme de samizdat, édité par les éditions Gallimard… Un samizdat ? Pourquoi cette forme de samizdat ? Alors qu’il s’agit d’une collection entre les mains de nos élites… On a envie de lui dire que les samizdat, aujourd’hui, ont pris pour forme ces écrits des réseaux sociaux, que sa classe intellectuelle décrie. Et puis en a envie de lui demander à qui elle s’adresse. Aux intellos sans doute. Non que son texte soit particulièrement cultivé, ou élaboré. Non. On n’en voit l’utilité que dans ce champ. Mais alors pourquoi sous cette forme bon marché, destinée à un public moins fortuné ? Et plus engagé dans la lutte ? Et puis… Son essai manque de virulence. De diatribe. C’est très aseptisé comme samizdat, non ? On aurait aimé la voir laisser la parole aux Gilets Jaunes. Dont l’intelligence collective n’est plus à prouver. On aurait aimé un reportage de Sallenave sur un rond-point. Qu’elle s’efface. Ou qu’elle vitupère contre la liquidation de la culture en France, par le haut. Par les siens. On aurait aimé qu’elle entre dans le vif du sujet, qu’elle ne nous dise pas qu’il n’y a pas de revendication culturelle chez les Gilets Jaunes, qu’elle aille voir sur le terrain ce que culture veut dire. Plutôt qu’elle se fasse Pitie et prophétise la fin qu’elle juge probable de ce mouvement : n’avez-vous donc pas compris, Danièle Sallenave, que si les Gilets Jaunes « perdent », c’est la France entière et toute sa culture qui seront fossoyées ?
Jojo le Gilet Jaune, Danièle Sallenave, Gallimard, collection Tracts, n°5, 8 pages, agrafé, avril 2019, 3.90 euros, ean : 9782072859823.