Obéir aux ordres : juillet 42, de braves policiers réservistes débutent dans l’extermination de masse…
13 juillet 1942. Des braves fonctionnaires allemands, pas du tout nazis, pas vraiment antisémites, sont débarqués dans le village polonais de Josefow. Ils appartiennent désormais au 101e bataillon de police de réserve allemande. Ils sont fiers de leur nouvel emploi, l’opportunité de mettre leurs familles à l’abri du besoin. Réservistes : ils ont passé la limite d’âge et ne peuvent plus servir le drapeau allemand. Pères de famille souvent, des hommes sans histoire. Des employés de bureau. Des fonctionnaires à qui l’on a proposé une belle vie de plein air, des déplacements en Pologne, le grand grand air dans les si belles forêts de l’Est. Pour l’heure, ils viennent chercher les 1 800 juifs qui vivent dans ce petit village. Leur mission est simple : rayer le village juif de la carte allemande du monde. On ne parle pas d’extermination. Ni de tuerie. Les mots sont feutrés : il ne faut pas heurter leur conscience. Parmi les 1 800, 300 sont choisis pour être déportés et servir la grandeur du Reich. Les autres sont abattus. Femmes, enfants, vieillards. Ce n’est pas facile la première fois. En théorie, dans la salle de conférence, cela ne posait aucun problème particulier. Surtout pas de morale : la morale est de leur côté. Elle est allemande. Elle est militaire. Elle est du côté de la police. Son honneur. Mais nos réservistes sont inexpérimentés. Brouillons, ils ratent leurs cibles parfois, ne parviennent pas à tenir les enfants sagement à genoux, bien rangés, s’emportent contre ces juifs qui ne se laissent pas tuer docilement. Ils tirent, mal, risquent de se blesser entre eux, boivent beaucoup de schnaps pour se donner du cœur à l’ouvrage, tandis que les plus volontaires moquent les vieux qui ne tirent que du bout de leurs armes, presque intimidés du carnage qu’ils font. Mais on ne parle pas de carnage. On parle de mission. Et puis ils rentrent chez eux. Mission accomplie. Embrassent femmes et enfants, retrouvent la paix du domicile familial. Les médias saluent leur courage. On décore les maladroits qui se sont blessé par inadvertance sur le champ de manœuvre. On justifie abondamment la nécessité de mettre un terme aux agissements de la race inférieure. On ne parle d’ailleurs surtout pas de massacre, mais de Justice. Les intellectuels allemands, les universitaires, déplorent qu’ils soient si mal armés pour exécuter leur tâche. Par la suite, ces fonctionnaires modèles vont perfectionner leurs actes.
C’est que l’Administration est tatillonne : elle leur reproche d’utiliser trop de munitions pour venir à bout du nombre. Alors ils rationalisent le processus. Et en 16 mois, à moindre frais, ils assassinent 38 000 juifs en utilisant moins de 40 000 balles. Ils en déporteront 45 000 autres vers les chambres à gaz.
Christopher Browning a lu les témoignages des 210 policiers de ce bataillon. Ils racontent avec leurs propres mots cette histoire. Calmement. Surpris de se retrouver sur le banc des accusés à leur procès : ils n’ont fait qu’obéir aux ordres. Sans zèle particulier, ni aptitudes exceptionnelles, sinon cette efficacité qu’ils ont su construire au fil des massacres. « Un fonctionnaire, quand il n’est rien d’autre qu’un fonctionnaire, c’est quelqu’un de très dangereux », écrit Hannah Arendt. Mu par son étroitesse d’esprit, c’est un homme qui sait agir en fonction du droit en vigueur sans se poser la question des fondements éthiques de ce droit. Or c’est justement à son éthique qu’il faut juger un fonctionnaire, non à son respect des ordres donnés.
Des hommes ordinaires, le 101ème bataillon de réserve de la police allemande et la solution finale en Pologne, Christopher R. Browning, traduit de l'anglais apr Elie Barnavi, introduction de Pierre-Vidal-Naquet, Postface de Pierre-Emmanuel Dauzat, collection Histoire, éditions Les Belles Lettres, Paris, janvier 2002, 332 pages, ean : 9782251380568.