La Guerre civile en France 1958-1962 et la Constitution de la Vème République, Grey Anderson
Que reste-t-il de Mai 1958 ? Macron… Petit marquis offensant plutôt que monarque, dernier commis des nantis du monde économique, dirigeant peu scrupuleux d’une république bananière qui ne parvient même plus à camoufler ses dérives, ni sa vocation fondamentalement préférentielle. Cela, dans la continuité d’une mécanique constitutionnelle antidémocratique. C’est, au travers de l'histoire mouvementée de la France de 58 à 62, cette mécanique de la Constitution de la Vème République que décrypte l’auteur, ou plus exactement, celle des tenants qui ont abouti à sa rédaction. L’ouvrage consacre donc une large part à l’analyse minutieuse de la Guerre d’Indochine puis de celle d’Algérie, qui inspira directement cette écriture. La nouveauté de cette analyse qu’il faut lire de bout en bout, c’est que l’auteur ne reprend plus cette vieille antienne selon laquelle par exemple cette Vème aurait vu le jour pour parer aux dérives de la République des partis. De même, ce ne sont pas tant les défaites qui auront marqué l’avènement d’une présidence «forte», que la résurgence des idées de l’extrême droite française, encouragée par la classe politique de l’époque. Debré lui-même, menant les travaux, ancien haut fonctionnaire de Vichy, laissa libre cours à sa défiance à l’égard de la souveraineté populaire : selon lui, l’Etat devait rester «supérieur» aux représentants du peuple français. Et même si l’article 16 fut longuement débattu au sein de la Commission, parce qu’il qui prévoyait de laisser le Président confisquer tous les pouvoirs et suspendre toutes les libertés en cas de crise – crises ou prétendues crises dont, depuis une quinzaine d’années, tous les Présidents en fonction n’ont cessé d’agiter l’épouvantail de la crise pour renforcer l’arsenal des Lois liberticides-, les Droites extrêmes marquèrent de leur sceau cette rédaction. C’est que la France vichyste non seulement n’avait pas été éradiquée, mais relevait la tête avec force au cours de la crise du 13 mai 58. Printemps 58, à l’heure des paras, la France glissait de nouveau vers le fascisme et attendait son Caudillo, sinon son Führer. La grande émotion qui fédérait ces Droites, étude des journaux à l’appui, l’auteur la fonde dans le souvenir largement partagé de la répression contre les manifestants du 6 février 34, place de la Concorde. A droite toute donc, La Vème République ne pouvait que substituer une Monarchie présidentielle au régime des partis, et instaurer bientôt ce lien de charisme du Président à son peuple, théorisé par un Carl Schmitt, théoricien du nazisme… La Constitution ne tarda ainsi pas à se définir contre la rue algéroise et contre la rue française, contre le Peuple français, sans jamais parvenir à étouffer cette rue, voire en en exaspérant l’attente pour mieux la réprimer. Les contestations violentes de l’année 58, l’auteur les comprend non comme des anomalies de la jeune République naissante, mais son symptôme : la Vème République est le régime de la production et de la gestion continues d’affrontements violents avec un Peuple qu’elle méprise et rejette toujours plus loin. Ce qui est troublant à ce propos, c’est de voir l’auteur montrer qu’en fait le régime gaulliste avait adopté la tactique de la guerre révolutionnaire, celle de la guérilla, sur le terrain militaire à Alger puis en Afrique, mais aussi sur le terrain politique : si moderniser l’économie est devenue sa ritournelle, c’est pour mieux agresser sans répit le Peuple, lui livrer sans fin une guérilla qui n’a d’autre objectif que d’asseoir la domination des nantis. Et quant au concept «d’ennemi intérieur» qu’il va déployer pour justifier sa répression -et dont l’idée vient elle aussi de Carl Schmitt-, on, le verra se déployer dans toute la société française pour désigner toute opposition à la Doxa républicaine… C’est Papon, toujours préfet, qui passera par exemple du quadrillage des nationalistes algériens au quadrillage des immigrés, puis des parisiens… Il faut défendre l’Etat contre le Peuple, contre toutes les toutes les subversions, d’où, très tôt, le recours à des juridictions d’exception et la dramatisation stratégique de tous les événements susceptibles de porter atteinte au «sentiment républicain». C’est cette même vieille droite fascisante triomphante qui viendra conclure les événements 68, le 30 mai 68, refermant l’épisode contestataire sur l’écrasante victoire du front électoral conservateur, la manifestation, rapports de police en main, rassemblant aux côtés de républicains naïfs tout ce que le France comptait d’extrême droite…
La Guerre civile en France 1958-1962, Du coup d’état gaulliste à la fin de l’OAS, Grey Anderson, La Fabrique éditions, traduit de l’américain par Eric Hazan, 3ème trimestre 2018, 368 pages, 15 euros, ean : 9782358721677.