Karl Kraus, par Walter Benjamin
16 Mars 2018 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #essais, #Politique, #entretiens-portraits
Karl Kraus l’apocalyptique. Les Derniers jours de l’humanité… Die Fackel, son monumental journal ! Kraus bataillant jour après jour contre cette «journaille» à la solde des puissants –ô combien nous aurions besoin aujourd’hui d’un Karl Kraus ! Dénonçant sans relâche la fabrique du consentement, l’immense fourvoiement des faux démocrates de la fausse liberté d’informer, dénonçant, déjà, cette mensongère liberté de la presse qui ne fait que dissimuler un discours de domination construit à l’exacte mesure des trahisons de la République socialiste de Weimar. Kraus l’Autrichien, combattant sans relâche le nazisme, traquant les phraséologies creuses des démocrates allemands, la profusion mesquine des scandales de leur vie politique, la commercialisation de la pensée… Kraus l’infatigable, pointant ces jours sombres où l’homme a succombé à sa famine intellectuelle sous le poids de médias indigents, fabricants d’opinion. Kraus démontant inlassablement les rouages de cette presse dite libre. Walter Benjamin dresse le portrait de cet homme qui toujours s’est engagé non pas au nom d’une idée, mais de son humanité. S’engager envers soi-même autant que l’on s’engage auprès d’autrui. Sa maxime, Kraus dissertant comme personne sur la question de l’autorité et qui avait fait de la presse son combat. Cette presse qui aujourd’hui révèle sa vraie nature : non pas analyser les événements du monde, mais les fabriquer. Cette presse à l’identité de toujours intrigante. Il faut bannir la presse, affirmait Kral Kraus, parce que son horizon n’est pas la vérité, mais l’opinion. La presse est l’idéologue au service du Pouvoir. Toujours. Elle qui s’est hissée au-dessus du monde, de la société, des hommes, elle qui, par essence, est une corruption. Il n’y a pas de compte rendu impartial, nous dit Kraus et nous ferions bien de l’entendre enfin : tout journal est d’abord un instrument de Pouvoir, qui ne tire sa valeur que du pouvoir qu’il sert. Et quand il s’agit du pouvoir libéral, même dans sa version sociale-démocrate, martèle Kraus, la seule vocation de la presse est de retirer de la circulation les idéaux qui lui nuisent, en tout premier lieu, celui de la dignité de l’homme. Kraus dont Benjamin nous dresse un portrait sans complaisance. L’homme n’était pas vertueux. Ni Saint Just ni un personnage «éthique». Un vaniteux, un homme en colère, cruel, moqueur et certainement pas un philanthrope. Son humanité ?, s’interroge Benjamin. Elle aura été tout simplement d’avoir su convertir sa méchanceté en une sophistique au service d’une idée de la Justice qui, littéralement, empoisonnait son existence. Kraus était un homme du Droit, plein de rage, toujours à se tenir sur «le seuil du Jugement dernier», irrécupérable procédurier inculpant l’ordre juridique lui-même, incapable de défendre la moindre notion de Justice.
Karl Kraus, de Walter Benjamin, éditions Allia, traduit de l’allemand par Marion Maurin et Antonin Wiser, mars 2018, 90 pages, 7 euros, ean : 9791030408416.
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