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8 février 2018 4 08 /02 /février /2018 09:24

Un matin, un mot lui a échappé. Un seul. Quel mot importe peu. Ce qui importe, c’est qu’il lui ait échappé et qu’il ne sache pas duquel il s’agissait : on n’est pas ici dans un ouvroir de littérature potentielle et la Disparition de Perec ne constitue en rien l’horizon d’attente du récit que Forest écrit. Un mot lui manque. Dont on s’étonne qu’il le sache… Alors on se dit qu’il s’agit d’un artifice d’écrivain. Non pas un exercice de style, encore une fois : Forest n’est pas Queneau. Mais d’une feinte littéraire qui en vaut bien d’autres. Une astuce, à force d’écrire, quand écrire est devenu le mouvement irrépressible. Une malice donc. Une candeur. Encore que. Même si l’on n’est pas dupe de ces façons dont le genre se nourrit, cet oubli-là interroge, moins sur la manière d’écrire, que d’être écrivain et des raisons de l’être…

Donc, autour de ce mot qui vient à manquer, le narrateur construit sa fiction. Il parle d’un tableau accroché au-dessus de son lit, de la neige, du vent. Il est entré déjà dans son histoire au moment où le lecteur s’interroge encore : comment commence-t-on une histoire ? Parce qu’il a feint la disparition d’un mot, il nous fait le don d’une écriture. D’un style. Le reste importe peu : les histoires, les descriptions, ceci, cela. De toute façon, à la fin, l’oubli l’attend et nous attend. Du moins, lui, l’aimerait, qui nous a tant baladés pour masquer le vrai ancrage de sa proposition, que révèle une simple petite phrase longuement méditée, consignée comme sans y prendre garde : (l’oubli) «conserve sauf le souvenir de ce que l’on a vécu»… Oui mais sans nous. Quand nous ne pouvons peut-être plus répondre de rien, quand prendre soin de ce qui n’est plus est devenu hors de notre force, sinon de portée désormais…  Mais… Cela donc seul importerait, qui nous laisserait ensuite en paix, d’avoir tant oublié ? Forest signe finalement un texte poignant, à verser autant dans l’artificiel de l’écriture. Un texte qui s’achève là où il a commencé, sans jamais l’atteindre : l’oubli.

(A vrai dire, en lisant ce récit, je n’ai pas cessé d’avoir en tête le poème de Rimbaud : l’Eternité, cette mer allée avec le soleil, âme sentinelle murmurant l’aveu… Pas d’espérance : l’oubli n’est pas l’éternité.)

Philippe Forest, L’Oubli, Gallimard, NRF, décembre 2017, 236 pages, 19 euros, ean : 9782072760891.

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