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La Dimension du sens que nous sommes

Adam & Ève, Stephen Greenblatt

5 Février 2018 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #essais

L’histoire sans fin des origines… Stephen Greenblatt, prix Pulitzer de l’essai, théoricien de la littérature, s’est lancé ici dans une grande enquête de toutes les productions, religieuses ou profanes, qui évoquent Adam et Eve. Moins de deux pages dans la Bible… Une fable sur la misère humaine, condamnant la désobéissance, renvoyant à l’héritage très lourd des chrétiens avec leur idée d’un péché originel, tandis que les musulmans, très sagement, ont converti le péché originel en erreur. Des siècles d’efforts collectifs pour faire vivre cette légende. Non sans mal, puisque la fable d’Adam comme holotype, exemplaire unique de l’espèce humaine, a très tôt dérouté les hommes… Comment y croire depuis le XIXème siècle, quand à la métaphore de la branche, les théoriciens de l’évolution ont préféré celle du buisson, ou d’un labyrinthe de faux départs et de détours ? Plus vite qu’on ne le pense, les lecteurs de la Bible se sont tournés vers une interprétation allégorique de la Genèse. A commencer par les hébreux, dont nombre d’entre eux voyaient dans cette histoire une grande force qui témoignait de la singularité de notre espèce : sa capacité à raconter des histoires, justement… Capables de détourner l’homme de sa nature biologique. Il y a donc eu une histoire, et puis nous avons existé. Dans un monde qui existait déjà, et depuis fort longtemps. Nous avons existé depuis peu, à dire vrai. Du texte de la genèse, Greenblatt retient qu’il aura été apostillé par plusieurs auteurs. Le texte s’est mis en place dans la durée en somme. Non sans circonspections ni emprunts, à la Mésopotamie Antique par exemple, au fameux Gilgamesh en particulier, qui en irrigua toute la rédaction. N’y façonne-t-on pas l’homme avec de l’argile là déjà ? Tout comme dans les deux, il y a cette solitude insupportable qui ouvre très vite à la nécessité de la création d’un Autre compagnon, un homme dans Gilgamesh, Eve dans la Bible. Les démonstrations de Greenblatt sont passionnantes, qui étudient le trouble des croyants à travers les siècles face au récit adamique. Comme ces questions de La Peyrère, s’interrogeant sur l’existence de villes dès les premières pages du récit biblique. Qui donc les peuplaient ? Men before Adam… Dès le premier siècle, les chrétiens tentèrent de combler les trous du récit biblique et de mettre un peu d’ordre et de logique dans un texte qui ne semblait déjà plus aller de soi. Greenblatt suit toutes les versions, toutes les tentations de n’y voir au fond qu’une allégorie, jusqu’à Saint Augustin, qui tenta d’asseoir la Lettre du récit. Il fallait qu’il fût vrai. Alors Augustin se lança dans une tentative qui dura quinze ans pour essayer de s’en tenir à une lecture littérale de la Genèse. Dieu avait bien créé le monde en six jours et s’était réellement reposé le septième… Adam et Eve l’avaient trahi et ils furent chassés du paradis. Au cœur de la théologie de la faute de Saint Augustin, sa réflexion sur la sexualité : c’est elle qui a transmis le péché de génération en génération… C’est elle la marque du Mal, affirme-t-il, confessant combien dans sa jeunesse il en subit la force… C’est parce qu’Adam et Eve durent concevoir leur progéniture sexuellement, que tout alla de mal en pis. Une anomalie que cette sexualité, aux yeux d’un Augustin qui avait commencé par décorporéiser Adam avant sa chute. C’est dans la libido qu’il cherche donc la fin de l’homme, une libido qui n’était pas le choix de l’homme mais une force qui le traversait pour l’asservir… Pourquoi ne sommes-nous pas maîtres de notre chair, se plaignait-il ? La concupiscence jetait nos âmes dans une sorte de naufrage. Dont on fit la femme responsable… L’épilogue est piquant, autour du Kibale Chimpanzee Project, décrivant cette absence de honte des singes étudiés. Des êtres en dehors du Bien et du Mal, comme durent l’être Adam et Eve, avant la faute…

Stephen Greenblatt, Adam & Eve, L’histoire sans fin des origines, Flammarion, traduit de l’américain par Marie-Anne de Béru, septembre 2017, 444 pages, 23,90 euros, ean : 9782081415942.

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