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La Dimension du sens que nous sommes

Anthracite, Cédric Gras

12 Janvier 2018 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #en lisant - en relisant

Le Donbass. Anthracite. Une couleur et une matière. Ici les deux : cette couleur grise qui recouvre toujours plus de pans de notre histoire récente, et le charbon, inlassablement au cœur d’une géopolitique qui n’en finit pas de rabâcher sa mauvaise haleine. L’Ukraine et la Russie. Donetsk au milieu. Quitter l’Ukraine, rallier la Russie. Ou l’inverse. La fuite et l’infaisable guerre, de bric et de broc, gaillarde et pyromane, comique, n’étaient les victimes dont elle creuse les tombes. Le Donbass, incompréhensible d’ici. De l’Ouest. Trivialement hors de portée de tous nos idéaux. Comme des leurs. Une guerre naufragée en somme, de sédition, de sécession, de rancune, de rancœurs. Fuir ce merdier. En désordre. Dans tous les sens. Vladlen découvre ce qu’il en coûte de tenter de fuir ce merdier au volant d’une vieille Volga, son compère Emile, son pote de toujours, à ses côtés. Fuir pour n’être pas recouvert par les cendres encore brûlantes de la civilisation perdue des soviets qui, même morte, engloutit tout encore. Fuir pour n’être pas digéré brutalement par l’avenir pas moins férocement radieux que promet l’Ukraine à tous ceux qui voudront bien lui vendre leur âme. Avec en toile de fonds ces mines qui ont englouti tant de monde déjà. Les mines les plus dangereuses d’Europe, si ce n’est du monde. Le Donbass donc, cette République «géologique» comme la qualifie à merveille l’auteur. Entre l’histoire et le grotesque, composant son roman dans le non-sens d’une époque confuse. Vladlen fuit en russe son pays : l’Ukraine. Musicien, on a failli le lyncher pour avoir osé jouer l’hymne national en public, dans un quartier russophile. Il fuit l’année où le Donbass devint ukrainien. De quoi parle ce roman ? Au fond, de tous ceux qui sont nés dans un état qui n’existe plus. De cette période de proclamation de la minuscule République de Donetsk où il fallait fuir tous les jours, tout le monde ou presque. Il fuit vers la Russie avec Emile. Non pour rallier la Russie éternelle, mais à la recherche d’une amante, dans un pays hérissé de check points et parcouru en tous sens par une armée de gueux hérissés de bâtons, qui font face à une mécanique militaire ukrainienne lamentablement désorganisée. Dans ce Donbass dont il décrit les paysages grandioses et l’immuable déchéance. Une steppe balayée par un vent saugrenu, celui des livres d’histoire qui sont faits pour mentir et tout recouvrir d’identités fictives. Une steppe saisie par une guerre sans éclat qui ressemble à une longue agonie où ne fait rage tout d’abord que la bataille de la mémoire. Et dans l’ennui de combats toujours avortés, nos deux comparses errent plus qu’autre chose, toujours sur les traces de leurs femmes tandis que des pin-up posent en tenue sexy sur des monticules de pierres, un drapeau séparatiste fièrement brandit pour plaire aux occidentaux. Avec tout autour de ce spectacle affligeant des colonnes de vieux matériels qui sillonnent le pays, des offensives menées à l’aveuglette tandis que des régiments entiers s’égarent sur des routes impraticables, engageant par dépit des batailles décisives contre des villageois sans armes. C’est ce délire que le roman explore. Un jour l’armée ukrainienne l’emporte, le lendemain elle est défaite. Tandis que les paysans, prudents, brandissent tour à tour les couleurs de l’un ou de l’autre camp, criant chaque fois gloire aux héros du moment, pour avoir la paix. L’hébétude l’emporterait volontiers, n’étaient les balles, bien réelles, qui finissent par trouver des corps où laisser éclore leur absurde. Nous ? Occidentaux ? Nous veillons. Le roman ne nous préserve pas…

Anthracite, Cédric Gras, éditions Stock, mai 2017, 336 pages, 20 euros, ean : 9782234079786.

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