Cox ou la course du temps, de Christoph Ransmayr
La baie de Hangzhou. Cox débarque en Chine, pour répondre à l’invitation de l’empereur Qianlong, passionné d’automates et d’horloges. Il sera le premier occidental à franchir le seuil de la cité interdite. Ce qui ne le trouble guère : il a répondu en fait à l’invitation pour tenter de surmonter son chagrin : Abigaïl, sa fille, est morte il y a peu. Elle avait 5 ans. Il ne s’en remet toujours pas et n’a plus touché à une horloge depuis, sinon pour construire celle dite «de vie», qu’il dédie à sa fille et qui aujourd’hui orne sa tombe. Une horloge dont le mécanisme subtil est œuvré par la fertilisation de la terre par son corps. Sur le chemin qui mène hors du temps c’est donc elle qui fait battre le cœur de cette horloge. La cité pourpre… L’empereur veut une horloge. Lui, le maître du temps. Une horloge capable de mesurer le temps suspendu, labile, subjectif. Il veut une horloge capable de mesurer le cours variable du temps. Cox, aussitôt, songe à Abigaïl. L’enfant qu’elle était, ses journées enjambant les siècles. Il relève l’épreuve, bien décidé à offrir à l’empereur son temps à elle, comme mesure. L’idée lui saute aux yeux : il construira une jonque d’argent, une horloge dont le mécanisme se nourrira d’un moindre souffle. Une horloge de la taille d’un oreiller, dressée dans les métaux les plus rares, les pierres les plus chatoyantes. Mais bientôt l’empereur l’interrompt : avant le temps de l’enfance, il veut une horloge capable de mesurer le temps d’un condamné à mort. Cox songe à la muraille de Chine, ce dragon qui enserre les confins du royaume. Ce sera son boîtier, tandis qu’il imagine une combustion lente pour source d’énergie : une horloge qu’un ruissellement de cendres mettra en mouvement. Il poursuit néanmoins la confection de la jonque, insérant un second mécanisme dans l’horloge d’Abigaïl, dissimulé, secret. Un mécanisme capable d’accorder son temps à celui de l’horloge de vie d’Abigaïl : le sien propre. Mais Cox n’a pas le temps de finir à Beijing ces horloges : une révolte contraint la cour à se déplacer en Mongolie. Jehol. Mongolie. Tout va s’y conclure. L’Empereur veut cette fois une horloge capable de mesurer l’éternité ! perpetuum mobile… L’horloge des horloges. Cox songe à diverses propulsions, jusqu’à parvenir à la seule capable de passer toute contingence à ses yeux : la pression atmosphérique. Mais les conseillers de l’empereur tentent de l’en empêcher : l’empereur n’est-il pas le maître du temps, sinon le temps lui-même ? En construisant cette horloge, Cox se ferait non seulement son égal, mais surplomberait ainsi le temps. Impensable. Il faudra beaucoup d’intelligence à Cox pour se sortir de ce danger… Christoph Ransmayr, dont Les effrois des ténèbres et de la glace m’avait plongé dans une profonde méditation intérieure, nous livre cette fois encore un roman à l’imaginaire puissant. Moins symbolique qu’il n’y paraît toutefois, car moins tourné vers la métaphore que porté par un souffle narratif qui laisse chacun libre de vagabonder aux confins de l’idée de temps, ou d’imaginer ces machines pensées par l’homme pour domestiquer un univers qui est resté plus grand que lui. Car Christoph Ransmayr ne campe pas sur les berges du philosophe. Romancier, il ouvre en grand au plaisir du littéraire, auquel il suspend l’Idée pour la contraindre à n’être qu’un événement perdu que seule la littérature nous permet d’éprouver. La littérature, notre consolation. Sans doute.
Cox ou la course du temps, Christoph Ransmayr, Albin Michel, traduit de l’allemand par Bernard Kreiss, août 2017, 318 pages, 22.50 euros, ean : 978-2-226-39630-3