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La Dimension du sens que nous sommes

A vif, Kery James

21 Septembre 2017 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #en lisant - en relisant

«L’Etat est-il responsable de la situation actuelle des banlieues ?» Telle est la question posée aux finalistes du prestigieux concours d’éloquence de l’école du barreau de Paris. A front renversé, Soulaymann, issu des cités, devra défendre la négative, tandis que Yann, un gosse de riche, doit plaider à charge contre l’état. Le dispositif promettait d’être passionnant. Le résultat est décevant. Kery James, rappeur (entre autres), issu de la banlieue, lui, s’en est sorti. Par la force de sa seule volonté. Il n’oublie certes pas –et les arguments qu’il met dans la bouche de Yann le prouvent-, combien il est difficile de s’arracher au ghetto. Il emploie le mot. Un vocable fort, violent, pour témoigner du sort réservé aux enfants des cités. Qu’il vide de son contenu. Car le destin des gamins de la banlieue a été étudié de longtemps, quantifié, statistiquement éprouvé, humainement circonscrit. Les chiffres de ces études, à eux seuls, frappent de nullité un tel débat. Mais non, la question se poserait toujours. Malgré ce rapport enterré par le Sénat qui, il y a des années déjà, parlait de ghetto à propos des banlieues françaises. De ghetto : aucune chance de s’en sortir, et il ne s’agit pas ici de statistique mais d’une réalité sociale brutale sur laquelle l’état français a décidé de fermer les yeux. Certes, il y a bien ce personnage, Yann, pour l’obliger à les rouvrir. Mais le troisième personnage de l’affaire, le «narrateur», vole au secours de Soulaymann : la question reste ouverte. Qu’on instruit en évoquant, parmi les arguments déployés les plus décisifs, celui de cette comparaison avec les campagnes françaises frappées elles aussi par la misère et où, pour autant, on ne voit pas d’émeutes fleurir. Certes. Mais ces campagnes enregistrent les plus forts taux de suicide. Mais ces campagnes fournissent les bataillons de CRS chargés de faire taire les émeutiers. Mais ces campagnes votent massivement FN. Quoi d’autre ? L’appel à la responsabilité individuelle face à la démission collective ? Ce serait ramener la sociologie au moins deux siècles en arrière, sinon, à l’égal d’un Valls, en nier la profondeur d’analyse. Certes donc, il y a bien ce personnage pour contraindre l’état à rouvrir les yeux, Yann, mais aussitôt disqualifié par la narration qui rappelle des propos racistes que ce dernier aurait tenus naguère… «Regarde la communauté asiatique», ajoute tranquillement Soulaymann, par négligence d’écriture peut-être ? Toute la pièce oscille ainsi entre l’envie de hurler la misère des banlieues et le parti pris néolibéral de la responsabilité individuelle. Quand on veut, on peut. La preuve : James Kery s’y est soustrait. Pour s’acheminer vers cette réconciliation improbable des deux personnages principaux autour de gouvernants que ne mériteraient pas la nation française. On est bien d’accord là-dessus. Encore qu’il y aurait matière, là, au vrai débat dont on a été privé… Et l’on se demande alors à quoi bon pareille publication en une époque où, au contraire, il nous faudrait des textes forts, réellement engagés !

A vif, Kery James, Actes Sud Papiers, sept. 2017, 10 euros, 32 pages, ean : 978-2-330-08403-5.

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