Confessions de Nat Turner
Ces confessions furent le point de départ de l’écriture du scénario du film de Parker : « The Birth of a Nation », écho ironique au film de Griffith (1915), dressant l’apologie du Ku Klux Klan. Le récit lui-même date de 1831. Nat Turner est en prison, il va être pendu pour avoir été l’instigateur d’une des premières rébellions d’esclaves noirs. Tous les autres insurgés ont été exécutés. Le récit lui-même n’est pas de sa main et n’est évidemment pas celui d’une rébellion, mais du meurtre barbare de familles blanches… Dont la liste des victimes s’étale en fin de confessions. Nat doit y faire l’aveu du caractère barbare de son action, d’une action qui doit apparaître comme incompréhensible aux yeux du lecteur. Le texte insiste donc sur le caractère «démoniaque» de ce que nous, nous appellerons une insurrection. Et Turner doit s’y évoquer comme «égaré», «embrouillé». D’autant plus fourvoyé que rien ne laissait prévoir de tels actes aux yeux des blancs. Rien ne laissait deviner cette révolte, encore une fois incompréhensible. Thomas R. Gray, qui recueille son témoignage, tente alors d’ne comprendre les prémisses dans la biographie de Nat. Quels traits pourraient expliquer la «folie» qui s’est emparée de Turner ? Peut-être cette enfance d’enfant doué songe-t-il. Trop doué. Nat apprit seul à lire et très vite, posséda un très grand ascendant sur ses condisciples. Pieux, Gray en fait un illuminé qui croit entendre des voix célestes lui promettre un destin exceptionnel. Adulte, esclave, désarticulé entre le fantasme d’un destin exceptionnel et la réalité de sa condition, sans doute a-t-il nourri beaucoup d’amertume à l’égard des blancs qui «l’employaient»… Nat s’enfuit du reste une première fois, pour revenir auprès de son maître, ne sachant que faire de sa liberté. C’est alors que lui vient cette vision terrible : il doit abattre des blancs. Ce combat, lui dit la Voix qui l’habite, c’est ton destin. Il échafaudera ses plans au cours de l’année 1830 : massacrer des familles entières de blancs. Là est sa folie. Que William Styron ré-écrira le premier en 1967, dans un livre analysant en fait surtout le rapport des esclaves noirs américains à la religion, et qui fera scandale. Jusqu’à Parker, qui à travers son film a tenté d’affirmer qu’il s’agissait-là de la première tentative d’émancipation des esclaves noirs. Nouveau scandale : le meurtre de masse ne peut être un outil d’émancipation. Et pourtant, quand on y réfléchit bien : poussés à bout, enfermés et soumis non aux lois d’une nation, mais d’individus retors, battus, torturés, tués sans forme du moindre procès, que leur restait-il donc ? Les travaux les plus récents sur l’esclavage des noirs aux Etats-Unis montrent qu’en fait de tous temps il y eut des révoltes, matées dans le sang. Au-delà des manifestations les plus désespérées comme les plus cruelles, celle de Nat Turner, les esclaves noirs auront tout tenté pour résister à leurs conditions, en vain pendant trois siècles ! Du sabotage des machines au ralentissement des cadences de travail dans les champs de coton, en passant par les fuites, les incendies de propriétés ou les suicides collectifs comme acte suprême de résistance, pendant trois siècles les esclaves noirs américains auront lutté avec une énergie peu commune, ignorée de la plupart de nos contemporains aujourd’hui encore, pour soulever un joug que rien, semblait-il, ne pouvait lever…
Naissance d’une Nation, Confessions de Nat Turner, suivi de : Une révolte en noir et blanc, de M. Roy, éditions Allia, traduit de l’américain par Michaël Roy, décembre 2016, 76 pages, 6,50 euros, ean : 9791030404739.