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14 mars 2017 2 14 /03 /mars /2017 09:42

Un ado rentre de son match de foot. Il a superbement joué. Mais de retour à la maison, les choses ne se passent pas comme il s’y attendait : ses parents lui claquent la porte au nez ! Lui tourne autour de cette maison soudain close. A l’intérieur, il finit par découvrir la présence d’un autre garçon dans sa chambre, à sa place à la table familiale : lui ! L’un et l’autre se dévisagent. Longuement. Sans échanger le moindre mot. Frappés de stupeur. Lorsqu’une camionnette arrive d’où descendent deux hommes décidés à mettre la main sur l’ado bouclé dehors : «on va attraper la chose». Il s’enfuit. Loin. Dans la forêt, où il rencontre un autre «lui-même» : un clone, une «copie», dont la société n’a plus rien à faire et qu’elle veut liquider bien sûr. Ils sont en trop.  Un temps ils ont remplacé l’un et l’autre un enfant malade dont les parents espéraient la guérison, parfois attendues des années. Un enfant qu’ils croyaient perdre et dont la copie portait l’amour auquel ils estimaient avoir droit. Car c’est de cet égoïsme qu’il s’agit, de celui d’une société qui a tourné le dos aux valeurs humaines et qui se repaît d’émotions faciles. Nos deux copies doivent disparaître. Elles le savent, elles qui ont été si parfaitement programmées. Désactivées, elles agonisent lentement. Mais perdues dans la forêt, l’espoir ne les quitte pas, nourrit par cette légende qu’elles ont entendu conter d’un bateau qui serait une vraie arche destinée à recueillir toutes les copies qui ont échappées à leur destruction pour les conduire en quelque Eden où l’on aurait trouvé le moyen de désactiver leur destruction programmée. Il leur faut pourtant quitter parfois la forêt pour rallier les villes et y trouver de quoi se nourrir. Des villes où les attendent des liquidateurs de copie et où, partout, la loi autorise les citoyens à user de tous les moyens disponibles pour liquider les copies en trop… Dans les rues de ces villes agréables, policées, des copies meurent, se traînent, sont tuées. Que les services de voirie débarrassent dans l’indifférence générale. C’est ça l’axe de ce roman jeunesse : ce manque d’empathie, cette indifférence à l’autre, quel qu’il soit. L’homme augmenté nous ouvre en grand les portes d’un cynisme inouï. L’hiver survient. Le froid. La solitude. Nos deux copies prennent soin l’une de l’autre. Convoquant cette vieille solidarité  comme une valeur disparue du champ de l'espèce humaine. L’homme augmenté nous en a débarrassés. Pourquoi faire, quand on peut faire appel à des copies ? Elles se traînent vers un gouffre au fond de la forêt, où un bateau est bel et bien posé, échoué dans le sable. Le récit devient grandiose stylistiquement, en phrases exténuées, de plus en plus courtes. Il s’effiloche, pour se clore sur une image littéralement ahurissante. Un chiasme tactile. Empreint d’une immense nostalgie pour ce que l’humain a pu être.

 

Les Copies, Jesper Wung-Sung, éditions Le Rouergue, Epik, octobre 2015, traduit du danois par Jean-Baptiste Coursaud, 192 pages, ean : 9782812609817

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