Je Viens, Emmanuelle Bayamack-Tam
16 Mars 2017 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #en lisant - en relisant
Charonne ? Elle venait d’un foyer d’où les gamins ne voulaient pas partir, ne voulaient pas être adoptés. Boulotte, crépue, basanée… Gladys et Régis s’étaient plantés quand ils l’avaient adoptée : elle faisait blanche, bébé. Maintenant, c’était fait. On ne pouvait plus revenir là-dessus. Nelly, la grand-mère, pouvait bien pester jour après jour contre cette bévue, ils n’y pouvaient plus rien. La gosse était noire, on ne pouvait plus s’en défaire. Noire. Pas blanche. Probablement née du viol d’une rwandaise par un soldat belge… Il fallait vivre avec ce malentendu, donc. Et pour Charonne, avec la paresse sentimentale de ses parents adoptifs, peut-être plus insupportable que leur déconvenue. Elle était arrivée trop tard dans leur vie, qui n’avait déjà admis que peu de place à ces questions d’amour. Parlez-en à Gladys, qui avait passé son existence au plus loin physiquement de son père cancéreux, dont l’effrayait l’appareil qu’il avait en travers de la gorge pour s’adresser aux autres de cette voix métallique affreuse qui n’était plus la sienne… Il fallait donc survivre. Chacune d’entre elles devait survivre. Se réfugier dans la mesquinerie ou la vanité pour ne laisser aucune prise. Des flots d’une vanité qui finit par se submerger elle-même et nous rendre le travers dérisoire, sinon agréable. Charonne, d’un drôle absolu, raconte la première son enfance, exposée au racisme français quotidien. Heureusement, il y avait Charlie, qui était venu dans sa vie lui rendre son souffle. Six ans, sept 7 ans, les années décisives : celles de l’acquisition de la lecture. L’impulsion. Non pas l’école : la vie est ailleurs. On ne l’aimait pas du reste à l’école : trop noire, trop grosse, la langue trop bien pendue. On est en France, pays des fantasmes identitaires impitoyables. Sa langue foisonne, celle d’une enfant à qui l’on ne peut plus en compter –elle s’en est trop pris plein la figure en somme-, celle d’une enfant qui a su s’arracher à l’indifférence où l’on a tenté de l’ensevelir au sein de cette famille en pleine débandade. Charonne raconte avec un talent hirsute ce genre de fille inhabituelle qu’elle aura été avec ses fesses hottentotes et ses triceps d’hercule. ET puis Nelly raconte, la grand-mère, ces années difficiles et celles, plus dures encore, qui se profilent devant elle : comment accepter de mourir vieille ? Elle raconte alors le botox, la chirurgie esthétique. Charlie, Charonne, Gladys… Elle ? Elle a été belle. Et c’est bien tout désormais. Puis Gladys entre en scène. Son petit tour de piste, aussi dérisoire, aussi pathétique que celui de sa mère, Nelly. Charonne ? Elle lui a donné ce nom minable pour qu’elle se rappelle son appartenance au monde des minables. Charonne, Gladys, Nelly. Trois générations en guerre. C’est presque réjouissant, tant de vilenie. Et qu’elles sachent si bien s’entremordre dans cet équilibre où aucune d’entre elles ne peut triompher.
Je Viens, Emmanuelle Bayamack-Tam, Folio, mai 2016, 418 pages, ean 9782010469703.
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