L’Installation de la peur, Rui Zink
1 Décembre 2016 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #en lisant - en relisant
«La femme», essaie de penser. On sonne à sa porte. Elle est nue. Qui sonne ? Eux ? Elle ne songe tout d’abord qu’à aller chercher son petit dans la chambre. Le cacher. On sonne toujours. Elle s’habille, ouvre. Deux hommes. Affables. Costume cravate : «Nous sommes venus installer la peur»… Pour le bien du pays. Directive n° 359/13. Autrefois, expliquent-ils, cela prenait des années. Plus maintenant : les citoyens ont accepté d’avoir peur. La fable se déploie, en didascalies et dialogues. Quelle serait, pour cette femme, la peur idéale ? Ils cherchent. Ensemble. Elle et eux. Sans complicité, ce qui est déjà comme une résistance qu’ils n’apprécient guère. Ils lui rappellent tout d’abord ces contes que les mères lisent à leurs enfants. Les contes savent si bien installer la peur dans la vie des enfants ! Qui ne peuvent résister. Que pourrait-il faire ? Rien. L’enfant ne comprend rien à la cruauté du monde des adultes. Même quand les histoires finissent bien, la peur est installée. C’est quelque chose comme ça qu’il faut chercher, pour réinstaller la peur dans le ventre des adultes. Un récit capable de bien finir mais de très mal débuter. C’est à cela que servent les fictions. Tout un processus. Qui ne fonctionne vraiment que si l’on y collabore sans le savoir. Une peur adulte donc, pour elle. Peut-être celle d’une ville déserte, peuplée d’étrangers et de gens qui n’auraient plus aucun contact entre eux et dont les relations ne se nourriraient que de soupçon. Une ville raciste. Peuplée d’étrangers. En vrai ou fantasmés. Ils seraient «partout». On pourrait les épier derrière ses rideaux, entendre leurs crimes à la radio, leurs méfaits à la télé… Ou bien simplement xénophobe. Une ville xénophobe. Ce serait plus classe. Les installateurs poursuivent avec talent. De vrais artistes de variétés. La peur la meilleure ? Ah, mais oui bien sûr : la peur économique. Les lois du marché. La bourse inquiète. Les marchés... Tout puissants les marchés ! A faire et défaire les vies. Ils sont la grande rumeur assassine. N’existent que comme menace. Des marchés que l’on ne peut apaiser que par des sacrifices humains, quand on y songe. Les gens comprennent trop bien cela. Y souscrivent. Avec eux, oui, la peur tient toujours ses promesses. Ou bien la peur sanitaire. Celle de virus capables de traverser les océans. Pandémie. De celle qui rejoindrait le racisme : c’est toujours la faute de l’Autre. Nos enfants exposés, à cause de l’Autre. Peut-être plus efficace que l’horreur économique. Ou les deux conjugués. Bien sûr ! La crise et la nécessaire gestion du vivant ! Le désastre est partout. Ne resteraient que les forces armées et la police pour faire tenir tout ça. Et le terrorisme, pour maintenir la peur et faire de nous tous les otages d’un monde meilleur…
Par ailleurs : à l'origine, l'auteur ne voulait pas mettre un mot de luid ans ce roman, distillant les phrases des autres parmi les siennes. C'est peut-être cela, en effet, l'installation de la peur...
L’Installation de la peur, Rui Zink, traduit du portugais par Maïra Muchnik, éditions Agullo, sept. 2016, 180 pages, 17,50 euros, ean : 9791095718062.
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