L’école française, républicaine vs démocratique ?
La revue du site Question de classe(s) s’interroge dans son numéro 6 sur le système scolaire français que l’OCDE vient d’épingler (rapport de septembre 2016) comme le plus inégalitaire des pays développés. Alors, républicain ou démocratique, ce système ? L’un ou l’autre donc, pas les deux à la fois. Non sans documenter notre réflexion sur cette construction de l’intelligence faite en réalité dans notre beau pays pour écraser les uns et protéger une poignée d’autres, enfants issus des classes riches. Une construction inepte donc, inique, cynique, où l’on éduque pour exclure, où l’on exhausse une élite dont la médiocrité patente ne cesse jour après jour d’éclater au grand jour. Eduquer sans exclure, telle aurait dû être la devise d’une démocratie sereine, au lieu de quoi la République nous sert son anxiété dévastatrice, à redouter de voir ses privilèges se dissoudre dans la masse.
Dressons le bilan : la rénovation du collège a échoué. La rénovation du lycée a échoué. La rénovation du supérieur a échoué. L’enfant n’est toujours pas au cœur de ce système hypocritement inégalitaire et reste, dans l’esprit de nos ministres, un être qu’il faut corriger, redresser, fidèles qu’ils sont à la conception qu’un Bossuet se faisait déjà de l’éducation, filée dans sa fameuse métaphore du bosquet, plus portée à surveiller et punir qu’à encourager et guider. Un système d’une amoralité écœurante, qui ne cesse de faire croire que seul le mérite en est le critère fondateur, alors que toutes les études sur la question montrent que réussites et échecs scolaires ne sont que des constructions sociales.
Le numéro est passionnant d’un bout à l’autre, qui ne cesse de nous interpeller sur nos attentes en matière d’école. Captivant de tant savoir poser les bonnes questions, tout comme il inquiète de pointer à ce point le manque total d’ambition du débat publique, nous révélant à vrai dire combien la question du Bien Commun a disparu de cette société sans Histoire, au sens où un Marc Bloch entendait l’Histoire comme la dimension du sens que nous voudrions être. De fait, au-delà de toutes les volontés affichées, il ne resterait qu’un immense renoncement en partage, qui nous commanderait de reformuler ainsi la question du sens de l’école dans une telle société : « A quoi bon une pédagogie émancipatrice dans un monde réactionnaire ? A quoi bon créer ici et là des temps et des îlots d’épanouissement et de créativité sociale, au milieu d’un rapport de force défavorable ? Pourquoi s’obstiner, alors que tout indique que chaque tentative sera écrasée, que chaque avancée sera stoppée, que chaque réussite sera isolée ? »
L’école française est tellement à l’image de l’idéologie républicaine actuelle : un instrument d’exclusion ! Elle n’est plus désormais, sous gouvernance socialiste, qu’une école de l’ordre, de la hiérarchie sociale et du nationalisme. Il y a, sur ce dernier point, des analyses fascinantes dans ce numéro. De celles qui vous jettent à terre quant à ce qu’elles révèlent de cette école qui ne sait que faire des enfants issus de l’immigration, tout comme elle n’a su que faire des enfants d’ouvriers. Une école dont seule une image vieillotte de l’identité française en constitue l’horizon. Enseignement néo-colonial ? Laurence de Cock le démontre magistralement à travers l’étude de l’apprentissage du fait colonial dans les manuels scolaires, l’instruction publique s’étant mêlée dès ses origines d’en prescrire l’usage, pour bien évidemment louer la grandeur de la République tout d’abord, apportant la civilisation aux peuplades primitives… Et s’il y eut bien, certes, après la seconde guerre mondiale le frémissement des pensées antiracistes et tiers-mondistes pour faire entendre un autre son de cloche, timidement ouvert à l’idée de tolérance à l’égard des cultures étrangères, cette parenthèse se referma bien vite, dès les 1980, sous l’égide d’un Chevènement vouant aux gémonies la lecture culturaliste de sa chère civilisation coloniale, pour se couvrir les yeux de peaux de saucissons et ne surtout pas avoir à reconnaître qu’en fait, l’altérité culturelle passait depuis des lustres dans l’identité même de la France. Depuis Chevènement, le discours nationalo-républicain n’a cessé de croître, entraînant dans son sillage tout un courant de pensée réac-publicain qui, de renoncement en ralliement (au néolibéralisme) a fini par clôturer l’école de la république entre ordre social et crispations identitaires, au nom de son mot d’ordre chétif : « civiliser le social », qui nous vaut aujourd’hui de voir le droit de manifester mis en cage.
N’autre école, Questions de classe(s), n°6, printemps 2016, issn : 2491-2697, ean 9782918059806