«L’insurrection commencera par une crise de larmes planétaire»
(Le comité invisible). Nous avons perdu. Tous nos acquis ont été bafoués. Nous avons voté socialiste, les socialistes nous ont trahis. Des révoltes sporadiques, fragiles, inattendues, ont bien certes agitées la sphère sociale. Des insurgés sont morts, tués par les forces de police. Il faut le garder en mémoire : tués par le pouvoir socialiste (Rémi Fraisse). La colère gronde bien, mais une chape repose sur nous et plombe tout espoir de voir ce monde se transformer dirait-on. Pourtant, partout dans le monde des insurrections éclatent. Et l’on sent bien qu’en France il suffirait d’un rien pour qu’une sourde colère ne se fasse explosive. Est-ce la raison de l’état d’urgence ? Sans doute, quand les spécialistes s’accordent à dire qu’il est un vain outil contre le terrorisme (2500 perquisitions musclées, 2 mises en examen sous liberté conditionnelle…). Sinon le signe d’une capitulation devant ses exigences. Une colère, des colères se font jour donc, qui pourraient mener n’importe où. Dans les bras du FN pour les uns, de la haine de l’autre pour nombre de français, encouragés dans cette attitude par des partis qui, pour sauver leur pouvoir, n’hésitent pas à promouvoir les discours les plus extrêmes. Partout nos échecs nous font mal et retentissent de ce que nous ne savons plus ce qu’est un vrai changement politique. Peut-être parce que dans le même temps, partout se sont levés les fossoyeurs du changement. Rappelez-vous la campagne de Hollande, rappelez-vous Tsipas, dont le seul souci était de liquider tout ombre de révolution en Grèce pour rassurer les banquiers allemands. Le changement français, en fait, c’était Valls : une marche à tombeau ouvert à la rencontre de l’extrême droite. Partout le mépris du peuple de cette fausse gauche s’est étalé à l’envi. Il est grand temps d’en finir avec elle. Grand temps de la laisser, seule, s’échouer, avec sa fausse morale républicaine, la même qui naguère jeta les français dans les bras de Pétain. Il est grand temps de nous mettre à l’écoute du monde, qui grouille plus que jamais de ces colères qui nous retiennent, de ces soulèvements dont on sent venir la houle immense. Et qui partout cherchent leur sens. Que nous manque-t-il au vrai ? Il nous manque de réaliser que la crise est devenue une méthode de gestion des populations. Un outil de domination des peuples. Il nous manque de réaliser que le Front Républicain est un piège dont on ne sortira pas vivants. Il nous manque de réaliser que nous sommes les morts-vivants d’une Apocalypse en trompe-l’œil. Notre civilisation est morte, mais nous n’en voulons rien savoir. L’Occident est une catastrophe pour l’humanité, mais nous n’en voulons rien connaître. Un vide béant s’est ouvert sous nos pas, sous nos révoltes, sous notre désenchantement. Qui nous fait voter Hollande pour nous sauver de Le Pen. Puis Jupé pour nous sauver de Le Pen. Puis Valls pour nous sauver de Le Pen. Puis Estrosi pour nous sauver de Le Pen. Puis Macron pour nous sauver de Le Pen. C’est dire le dégoût qui est le nôtre. Et ce dégoût est le fond du mouvement qui nous anime. Non pas un soulèvement, mais un haut le cœur. Le vide. Pas de programme. Mieux qu’un programme à tout prendre : nous touchons le fond, où ce qui importe, où ce qui est en jeu est de savoir ce qui justifie nos vies. Moins la polis que la zoê. Quelque chose qui est de l’ordre du regard que l’enfant pose sur le monde : n’importe quel enfant sait ouvrir les yeux sur la nullité éthique de l’occident. Il nous reste à construire ce regard. Ethique. Il nous reste à construire nos révoltes. Ethiques et non politiques. Il nous reste à ne pas sombrer trop tôt dans le champ du politique, à lui résister même, à le refuser. Car ce qu’il faut construire, c’est une autre idée de la vie ensemble. Ce qu’il faut imposer, c’est une autre idée de la vie. Habiter chacun pleinement sa vie, ses relations à l’autre, plutôt que de devenir l’entrepreneur désespéré d’une vie pour soi. Il n’y a donc pas de société à détruire, comme l’affirme le Comité invisible. Il n’y a que nous et l’ensemble des liens par lesquels nous tenons à ce «nous» : un grouillement de mondes. C’est cela, la Commune : se relier, actualiser un certain niveau de partage qu’il faut inscrire dans un espace déterminé, pour ajouter au territoire la profondeur de l’humain.
À ceux pour qui la fin d’une civilisation n’est pas la fin du monde ;
À ceux qui voient l’insurrection comme une brèche, d’abord, dans le règne organisé de la bêtise, du mensonge et de la confusion ;
À ceux qui devinent, derrière l’épais brouillard de « la crise », un théâtre d’opérations, des manœuvres, des stratégies – et donc la possibilité d’une contre-attaque ;
À ceux qui portent des coups ;
À ceux qui guettent le moment propice ;
À ceux qui cherchent des complices ;
À ceux qui désertent ;
À ceux qui tiennent bon ;
À ceux qui s’organisent ;
À ceux qui veulent construire une force révolutionnaire, révolutionnaire parce que sensible ;
Cette modeste contribution à l’intelligence de ce temps.
A nos amis. Comité invisible, éd. La Fabrique, 21 octobre 2014, 250 pages, isbn : 978-2-35872-062-5