JE SUIS DE LA COULEUR DE CEUX QU´ON PERSÉCUTE
Trente ans d’échec titrait le dernier numéro du Monde Diplomatique. En France, la haine des pauvres a fait resurgir la bête. Celle des pauvres considérés comme des sous-hommes par l’idéologie néo-libérale. Un mépris qui s’est transformé en haine. A mort les pauvres. Que l’on ne compte plus du reste, tant ils sont nombreux. Nous vivons dans un état odieux, dans lequel des millions de gens sont chaque jour affrontés à la plus extrême misère. Dans lequel plus de 30 000 enfants par exemple, vivent à la rue. Dans lequel 35% des SDF sont des familles. Dans lequel les bidonvilles ont fait leur retour –de véritables villes selon l’état des lieux réalisé fin 2013 par la Délégation Interministérielle à l’Hébergement et l’Accès au logement (DIHAL). Des villes où la population, abandonnée à elle-même, s’est organisée et que l’état français s’acharne à démanteler sans proposer de solutions aux êtres humains qui les habitent, l’état se contentant de les chasser jour après jour (on appelle ça persécution), sans considération pour les enfants que leurs parents, au prix d’incroyables sacrifices et dans des situations aussi extrêmes, ont réussi à scolariser pour qu’ils apprennent notre belle langue française. Je vis dans un état odieux dans lequel on persécute des êtres humains au prétexte qu’ils sont rroms. Dans lequel on encourage le racisme anti-musulman. Je vis dans un état odieux où les politiques (Gauche-Droite) n’ont voulu voir dans la poussée des identités périphériques que l’expression d’un néo-communautarisme dangereux, au moment où les références nationales déclinaient. Je vis dans un état odieux dont les politiciens ont ressorti du plus infâme de leur chapeau le vieux schéma national-républicain pour affronter un prétendu déclin national et dans lequel les intellectuels se sont enrôlés pour mener cette guerre abjecte contre les pauvres. Je vis dans un état odieux où des décombres de l’état Providence a surgi l’état carcéral. Je vis dans un état odieux où la régulation des couches populaires passe par l’état pénal, plutôt que le redéploiement des richesses du pays. Je vis dans un état odieux ou le traitement sécuritaire s’est substitué au traitement social. Où le manège sécuritaire nous gave de fantasmes d’ordre pour précipiter l'électorat dans les bras de l’extrême droite par calcul politique. Je vis dans un état odieux où, pour masquer l’affaiblissement de la Puissance Publique, liée à la perte de sa souveraineté face à la Finance, on ne parle que de reconquérir des zones dites de non-droit, comme pour restaurer symboliquement l’autorité d’un état qui ne sait où faire la démonstration de sa force. Je vis dans un état odieux où le spectacle de la répression du Peuple souverain permet d’exhiber les signes de l’autorité d’un état qui ne contrôle plus rien. Je vis dans un état odieux qui a centré exclusivement l’approche sécuritaire sur la délinquance de rue et les zones urbaines en déclin, alors que dans le même temps, la délinquance en col blanc et celle de la Finance explosent. Je vis dans un état odieux qui continue de penser que "le changement" viendra de l’abandon d’un modèle social prétendument en faillite, alors qu’en vérité, il ne s’agissait pour lui que d’accompagner l’avènement du néolibéralisme dont le seul horizon était justement de mettre fin à l’état providence pour confisquer au profit des riches le Bien Commun et à long terme, de mettre fin tout court à l’état de Droit – on en voit se dessiner le modèle avec l’état d’urgence. Je vis dans un état odieux où l'état sécuritaire n’est pas la réponse à la généralisation de l’insécurité salariale, sociale, mais son fondement même : punir y est devenu la discipline du salariat précaire que le néolibéralisme a installé un peu partout dans le monde, en refusant de socialiser les classes pauvres pour les abandonner à leur misère. Je vis dans un état odieux où il ne s’agit du reste plus seulement de punir les pauvres, mais d’entraîner tout le corps social dans l’abîme sécuritaire et raciste qui signe le l’horizon néolibéral. Je vis dans un état odieux qui connaît la forme la moins enviable du néolibéralisme, celle dans laquelle l’accord sur les valeurs communes ne peut venir que de la coercition. De fait, les libéraux eux-mêmes devraient s’en inquiéter : la clique au pouvoir a fini par trahir jusqu’aux fondements du libéralisme philosophique, qui originellement articulait une conception morale du service de l’état, fondée sur la norme de l’égal respect des personnes. Une norme qui est entrée dans la pensée française, quelle ironie, comme réponse aux guerres de religion qui ravageaient le pays… Or voici que sous couvert d’une nouvelle guerre de religion l’on vient rompre avec cette norme. Car aujourd’hui, non seulement l’état français n’apporte pas de réponse aux problèmes que rencontrent les français, mais il est le problème lui-même, le fauteur de troubles publics qui divise, attise les haines et dresse des murs d’incompréhension. Alors pour toutes ces raisons, oui, je suis de la couleur de ceux qu’on persécute !