Les autodafeurs, Tome 1 : Mon frère est un Gardien, Marine Carteron
Voilà bien longtemps que les Autodafeurs attendent de prendre le pouvoir. Aujourd’hui, la société numérique semble le leur permettre enfin. Mais c’est compter sans les Gardiens du livre, qui n’ont cessé depuis des siècles de protéger ce bien incurable qu’est le livre imprimé. Pour l’heure, les Autodafeurs marquent des points : ils viennent d’exécuter le dernier Gardien connu, le père d’Auguste et de Césarine, dont ses propres enfants ignoraient la mission. Ancien conservateur de la BNF, leur mère ancienne archéologue, ni Gus ni Césarine ne pouvaient se douter de la profondeur de leur engagement : l’une vit égarée dans un monde mathématique, l’autre dans ses histoires d’ado, lecteur MP3 sur les oreilles et i-phone en poche. Mais les voilà contraints, par cette mort inouïe, de retourner vivre à la Commanderie, l’immense propriété de famille, perdue dans un coin obscur de province. Césarine, «ordinateur en socquettes» qui aime les nombres à l’exception des 22 premiers, ne vas cesser de nous épater par ses raisonnements imparables, poussant les logiques molles des adultes dans leurs derniers retranchements. Toute la famille déménageant, ce qu’elle découvre, c’est un papi et une mamie dont le passé d’anciens militants gauchistes refait surface. Qui sont-ils en réalité ? Pour quoi vivent-ils ? Tandis qu’Auguste s’ennuie dans son nouveau collège de bouseux, jusqu’à l’heure du cours de français, où le prof, littéralement, le subjugue. «Qu’est-ce qu’un livre ?», interroge-t-il. Que lit-on d’un livre ? Qu’est-ce que lire au fond, passer le temps ou bien quoi d’autre ? Et comment lire dans ce cas ? Mais surtout, que devient-on quand on lit ? Le roman s’ouvre d’un coup à un questionnement des plus essentiels. «Qui donc –mieux que le livre- est à la fois médecin et nomade, byzantin et hindou, persan et grec, mortel et immortel ?». On le voit, la littérature jeunesse n’a pas froid aux yeux, qui propose aux ados cette puissante méditation sur la vie. Et le plus fort, c’est qu’elle le fait sans se départir de son genre, ne cessant d’ancrer ses personnages dans notre époque, futile et sombre, eux-mêmes portés par des gestes tantôt puérils, tantôt graves, ne perdant pas un seul instant de vue leur poids d’existence, d’une existence faite d’étonnement et de ces engagements auprès du monde et d’autrui dont sont capables les adolescents.
Césarine, au fil des pages, conquièrent une place à part. Autiste, nous la découvrons à travers son journal, pétillant d’intelligence. Elle observe tout, note tout, débusque les contradictions, les secrets, les failles. Et par son observation autiste du monde, elle finit par découvrir qu’il manque des mètres à la Commanderie... Un passage secret, en lien avec cette mission ancestrale dont leur famille s’est chargée et dont Auguste découvrira qu’il en est devenu, à la mort de son père, la pièce maîtresse. Il s’agit de défendre les livres. De mettre à l’abri toute la mémoire livresque des hommes, leur socle d’humanité. Il s’agit de les protéger des Autodafeurs, des gens que le livre exaspère, tant il a inscrit dans son horizon la possibilité de la liberté humaine. Depuis l’aube des temps, les Gardiens ont réussi à sauvegarder ce patrimoine commun. Ils ont conservé précieusement les originaux de tous les livres existants à la surface de la planète. Des originaux que les Autodafeurs voudraient détruire, pour les remplacer par leurs clones numériques, expurgés bien sûr –c’est désormais si facile-, de tout leur contenu révolutionnaire. Leur projet démesuré est de numériser tous les livres écrits par les hommes, sous le contrôle d’une seule société, qui se chargera ensuite de mettre à la disposition des états sa version des ouvrages publiés… ça sent son Google books, amazon, voire ces Lois de contrôle du web que certains gouvernements nous ont concoctées… Car les Autodafeurs travaillent dur à nous faire croire que nous pourrions nous passer de ces originaux auxquels nous n’aurons bientôt plus accès.
La guerre ne fait donc que s’engager, qui voit de nouvelles forces s’engager aux côtés des gardiens du livre : nous, lecteurs, qui sommes au fond les Propagateurs que les gardiens appellent de toutes leurs forces…
Les autodafeurs, Tome 1 : Mon frère est un Gardien, Marine Carteron, Editions du Rouergue, collection DoAdo, 7 mai 2014, 14 euros, ISBN-13: 978-2812606670.