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La Dimension du sens que nous sommes

Hannah Arendt : Qu’est-ce que la culture ?

9 Juin 2015 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #essais

Hannah Arendt : Qu’est-ce que la culture ?

L’art, aux yeux de Hannah Arendt, est à l’origine une expérience pure de la Grèce Antique. Où aucun mot ne correspond à celui de «culture». Tandis que la culture, elle, est une expérience purement romaine, liée aux «arts» de l’agriculture, où il s’agissait de prendre soin de son jardin, de son champ. C’est au fond cet héritage romain qui est, plus que l’héritage grec, constitutif de notre conception de la culture. Cultura : le soin porté aux âmes.

Prendre soin. Pour les romains, la culture et la religion ont même racine : celui d’un culte. Qu’est-ce qu’un culte, sinon développer une culture «religieuse» visant à relier les hommes entre eux et les relier au soin que nous voulons leur porter ? Prendre soin donc, de l’humain concerné, comme tel…

C’est Cicéron qui le premier codifia l’idée d’une culture religieuse destinée à prendre soin de l’humain. C’est lui qui codifia le premier vocable d’agricultura, pour en extraire le mot de cultura : le soin porté à l’âme. La culture de l’âme fut ainsi d’abord l’objet de la philosophie comme discipline. Le soin de l’âme relevait des philosophes. Un soin public pourrait-on dire, qui a façonné pour longtemps l’idée que nous nous faisons de l’objet d’art, qui ne peut faire autorité qu’augmenter (étymologie du concept d’autorité) dans un espace public, celui de la polis.

Car l’art ne se manifeste pas dans le recueil de la vie privée, qui est le lieu de l’intime, mais dans l’ouverture à la vie publique, sur une scène où s’offre son déploiement. C’est sur cette scène que la Beauté des choses nous saisit et nous arrache aux cycles sociaux –où nous retrouvons la conception que les grecs se faisaient de l’œuvre d’art comme «monde», indifférente aux péripéties des cycles de la vie. L’œuvre nous arrache non seulement à notre quotidien, mais n’étant pas un divertissement de ce quotidien, nous arrache également aux cycles de la reproduction.

L’art et la politique sont ainsi liés comme des phénomènes du monde public, avec cette différence que l’art est dégagé de tout intérêt immédiat, tout comme l’art ne peut être soumis à l’intérêt de son usager. L’œuvre d’art, ainsi que le disait René Char, Hannah Arendt le convoquant, «c’est le désir demeuré désir», l’ouvert à l’ouvert, l’anéantissement de toute signification sociale immédiate. L’œuvre est toujours, nécessairement problématique, qu’aucune interprétation ne peut réduire.

HANNAH ARENDT - LA CRISE DE LA CULTURE, Jean-François Mattéi, direction artistique : François Laperou & Lola Caulfuty Frémeaux, label FREMEAUX & Associés, 2 CD-rom3. réf : FA5398.

image : Buste de Pyrrhus, Musée national de la civilisation romaine, Rome.

Toute interprétation d'une œuvre d'art ne peut se conclure que par une victoire à la Pyrrhus, dont le coût sera dévastateur pour le vainqueur...

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