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La Dimension du sens que nous sommes

Barjo, de Michael Coleman

12 Juin 2015 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #en lisant - en relisant

Barjo, de Michael Coleman

Après son superbe Filer droit, son premier roman pour adolescent traduit en France (2006) et qui s’était vu décerner le prix des Inrockuptibles 2008, Michael Coleman récidiva avec un roman adolescent d’une rare intelligence d’écriture, sorte de huis clos prodigieux et tragique.

Daniel et Tozer tombent au fond d’un gouffre. Les voilà piéger sous terre. Pas vraiment amis, mais pareillement têtes de turc de leur classe. Tozer est l’idiot de service, Daniel, l’Einstein crédule. C’est à la suite d’une course d’orientation, tout au long de laquelle personne ne les a ménagés, qu’ils se sont retrouvés en si mauvaise posture. Souffre-douleur du nouveau prof d’éducation physique, Axelmann, Daniel et Tozer ont d’abord appris à se détester. Enfin, Tozer surtout, aux yeux duquel Daniel incarne tout ce qu’il n’est pas. Trop intelligent, sans cesse à poser les bonnes questions, à trouver les bonnes réponses. Tout est question d’angles et de mesure chez lui, de logique dont il fait un usage tout à la fois abusif et rayonnant. Mais là, sous la terre, apeurés l’un et l’autre, ils apprennent à se redécouvrir. Et progressivement à comprendre l’humiliation dont ils n’ont cessé d’être l’objet. Flash-backs. Le camp de vacances, les railleries, l’injustice qui les a liés l’un à l’autre malgré, ou voire, contre eux. Mais Tozer se rappelle à présent comment, pour la première fois, Daniel a su lui rendre confiance en lui, en expliquant comment s’orienter avec une boussole et une carte. C’était la première fois que Tozer n’était pas moqué comme un demeuré.

A côté d’eux, dans la grotte, gît un corps à demi-mort. On ne sait tout d’abord de qui il s’agit. Bientôt l’eau vient sourdre et menace de les emporter. Il faut trouver une issue. Et prendre une décision : sauver l’autre ou le laisser périr. L’autre… Celui-là même qui encourageait heure après heure toutes les brimades à leur encontre. Le tortionnaire qui n’a cessé de les poursuivre de sa vindicte, d’attiser la moquerie des élèves à leur égard. Axelmann, leur prof de gym. Mais en perdition cette fois, moribond, affolé, et dont la vie ne tient qu’à un fil. Fil que romprait bien Tozer… Mais fil que les deux adolescents ne vont pourtant pas rompre. Ils le sauveront au péril de leur propre vie. Héros ? Non : humains, pas moins et rien moins qu’humains.

Le roman est traversé par un très fort sentiment d'iniquité. Et cette fois encore, comme dans Filer droit, c’est à travers ce même imaginaire de la cécité que l’exercice narratif prend corps. Comme un symbole de notre temps, où il s’agit de faire confiance à qui vous guide quand vous ne pouvez plus voir. S’en remettre à l’autre. Totalement. Dans l’impossibilité de jouir pleinement de ses facultés ou plutôt, d’être soi sans l’autre. Magnifique éthique, sans moralisme doucereux, qu’administre cette fois encore Michael Coleman !

Barjo, de Michael Coleman, éd. du Rouergue, coll. DoAdo noir, oct. 2008, traduit de l’anglais par Ariane Bataille, 272 pages, isbn : 978-2-84156-964-9, 12,50 euros

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