Le Carnet retrouvé de Monsieur Max, Bruno Doucey
« Et tous ces bons français qui adressent à l’Administration des lettres de dénonciation »… Juif catholique, poète, français, Max Jacob, dans ce journal imaginaire, découvre ce qu’il en coûte de porter son nom. Novembre 43, Saint-Benoît-sur-Loire. Max Jacob attend. Rien. Sinon sa dénonciation pour ce qu’il n’est pas, pour ce qu’il n’est plus, pour ce qu’il n’a jamais été vraiment : juif. Des courriers anonymes, il en reçoit. Menaçants : «Le fait de vous être converti au catholicisme, (…), ne fait de vous ni un chrétien, ni un français de souche». L’expression renvoie à notre propre actualité. Français de souche… Il n’y a pas si longtemps, un débat nous y congédiait tous explicitement, pointant cette fois les musulmans et les rroms.
Bruno Doucey a endossé la voix de Max Jacob pour tenter d’éprouver, aujourd’hui, l’anxiété, l’angoisse, la terreur et la dignité qui furent le grain d’une parole attendant son bannissement. Peu importe l’imagination qu’il a dû forcer pour compléter les pointillés de ce que l’on connaissait déjà. Ce «Je» jacobien qui se fait entendre mérite qu’on s’y frotte, moins comme un devoir de mémoire ni même le remords que nous ne méritons pas, mais l’exigence d’un «plus jamais ça» qui ne serait pas que de posture, facile, puisque la Shoah a déjà eu lieu, si confortable qu’elle en oublierait les pogroms à venir, de rroms cette fois, ou de musulmans, dans cette France même du devoir de mémoire…
Bruno Doucey est donc allé à la rencontre de ce destin foudroyé injustement. Et la question n’est pas de savoir s’il y a réussi ou non, s’il a bien ou mal incarné cette voix, s’il l’a bien ou mal dessinée, mais qu’il l’ait osé. Dans ce temps infiniment court de l’attente. 43, 44, et puis l’on envoya Max Jacob pourrir à Drancy. Pourrir, littéralement, ses poumons gorgés d’eau, malade, affaibli, mourant. Un homme pieux, qui croyait dans le Dieu des chrétiens et allait à la messe, racontant avec élégance ses difficultés de survie dans cette France raciste qui semble tellement identique à la nôtre… Doucey construit un homme occupé à ne pas l’être, cherchant comment vivre ses dernières heures de liberté, solitaire, congédié déjà dans son «allure de gnome claudiquant ». Victime idéale, forcée dans ses apparences physiques. Il raconte un homme malade, reclus dans un repli du temps, en poète lui-même, à la recherche de cette voix dont il a bien senti qu’elle allait se perdre si nous n’en répondions pas de nouveau. Il raconte un homme insensé, refusant de quitter la France, refusant de se faire vagabond, de moins en moins écrivain, de plus en plus chrétien, un homme sans histoire désormais. Littéralement. Faut-il vraiment poser la question de savoir si Bruno Doucey a su se couler dans la peau de Max Jacob ? S’il lui a été fidèle ? Il importe seulement qu’il en ait relevé le fantôme pour nous faire part de cette France abjecte de corbeaux dont le bruit lourd ne s’est pas éteint. Il raconte une agonie collective, celle d’une Nation sans Peuple et de populations qu’on égorge. Et ce gouffre obscur qui tend la flèche du récit : Drancy, comme le trou noir infécond de notre Histoire, jamais comblé, toujours prêt à ouvrir sa gueule pour attraper d’autres sujets : demain les rroms, demain les musulmans.
Le carnet jaune, donc, retrouvé : B 15872… «Préviens Cocteau», note Max Jacob. Il est à Drancy. Pour lui l’insoutenable va prendre fin. «Qui voudra écrire après Drancy devra débuter par la forme énumérative». Les juifs, les rroms, les musulmans, les juifs de nouveau, n’en doutez pas.
Le Carnet retrouvé de Monsieur Max, Bruno Doucey, éditions Bruno Doucey, avril 2015, 176 pages, 15,50 euros, ean : 9782362290831.