L’école hors sujet…
11 Mai 2015 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #essais
C’est vers 1050, nous disent les grammairiens, que la locution hors fut extraite de dehors pour se répandre et répandre partout l’exclusion, l’enseigner, la nommer, la montrer. Certes, elle dut se résigner tout d’abord à coexister avec sa variante phonétique fors. Mais les Croisades lui lâchèrent enfin la bride sur le cou. Même si, vers 1135, on pouvait encore aller hors, c’est-à-dire parcourir un dehors, à la frontière si poreuse encore. L’exclusion devenait toutefois de plus en plus définitive et il n’est pas anodin qu’on l’ait d’abord signifiée dans la locution hors la ville. Hors la ville nécessairement, point de salut… C’était si vrai qu’hors la ville, on était vite hors de soi, un forcené qu’il fallait réduire ou ramener à la raison, nécessairement citadine. Quelle troublante topographie... Quelle manière d'administrer les territoires de la raison ! (Je veux ici évoquer ceux qui commandent leur parcours à la (re)connaissance).
Hors la raison, point de salut. Hors n’est pourtant pas une région de la pensée, mais un espace. Empirique. Qui résiste aux réductions de la Ratio. L’espace de l’auto-révélation pathétique de la chair, peut-être, celui de la zoê, plutôt que de la polis.
C’est pourquoi l’école est placée hors la société. Pour mieux y exposer ses sujets décharnés, en faire des objets éducables, qui ne préexisteraient pas à ce qui les éduque, dirions-nous pour paraphraser Derrida en le contredisant.
Un dispositif qui serait précisément ce que l’école cacherait de son fonctionnement. Un peu hors, du coup, de toute transparence pédagogique, dans ce fonctionnement qui oublierait que le sens n’est pas une chose mais un dialogue fragile, subtil, que l’humain inaugure très tôt, dès sa sortie du ventre maternel.
Un dialogue qui aurait dû contraindre l’expérience pédagogique à révéler autrement qu’elle ne l’a fait l’épaisseur dialogique de l’existence.
Au point, par exemple, où elle aurait pu comprendre que le vrai but de toute pédagogie est de faire advenir quelque chose que rien ne pourra plus circonscrire. Plutôt que de l’enclore dans le dedans d’un quelconque savoir rabougri. Un contenant, plutôt qu’un contenu.
Car qu’est-ce qu’éduquer, sinon, comme le dit Derrida, s’ouvrir à la fragilité de l’autre ? Comprendre comment il comprend ou ne comprend pas, comprendre autrement, dans ces régions mal définies des friches où l’école, ayant transmis son trésor de significations, laisserait ouverte la possibilité du sens.
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