26 mai 1967, Guadeloupe, un massacre républicain passé sous silence…
Mai 1967… Une guerre semble imminente entre l’Egypte et Israël. Personne ne prête garde du coup au malaise social qui grandit en Guadeloupe. Le 22 mai, les ouvriers du bâtiment se mettent en grève à Pointe-à-Pitre. Une foule immense les soutient. De plus en plus exaspérée. Le 25 mai, une émeute éclate à pointe-à-Pitre : un militant du GONG (Groupe d’organisation Nationale de la Guadeloupe), d’obédience marxiste, vient d’être abattu par un tireur d’élite de la gendarmerie française, avec des balles dum-dum ! Un autre l’est quelques secondes plus tard sur la grande Place de la Victoire où sont rassemblés des milliers de guadeloupéens, en solidarité avec les grévistes du bâtiment. La réponse du gouvernement est hallucinante : le préfet fait relever les CRS, dont certains ont pactisé avec les manifestants, pour les remplacer par des pelotons de gardes mobiles –des militaires. Des infiltrés du SAC tirent par deux reprises sur ces gendarmes. Il n’en faut pas plus pour déclencher la tuerie : les gardes mobiles ripostent en tirant sans sommation sur la foule des manifestants. On tue à Pointe-à-Pitre, dans un carnage digne d’un revival de la Guerre d’Algérie. Mais silence radio dans les médias. Officiellement, le préfet reconnaîtra 7 morts au lendemain de ces journées, le dimanche 28 mai 67.
En 1985, l’état français finira par en reconnaître 87. Mais on est loin du compte : les témoignages recueillis parmi les manifestants, le personnel hospitalier, les CRS eux-mêmes, font état de près de 200 morts. On ne sait toujours pas aujourd’hui quelle fut l‘ampleur de ce massacre : pour n’être pas fichées comme séditieuses au lendemain des émeutes, nombre de famille ne sont pas venues déclarer leurs morts, tués par balles… A la mairie, des pages entières des registres d’état civil ont été déchirées… L’état français, Droite/Gauche confondues a depuis caché la réalité des faits pour s’en tenir à une version officielle de moins en moins crédible. Que s’est-il passé à Pointe-à-Pitre dans cette dernière semaine de mai 67 ? Comment expliquer une telle sauvagerie étatique ? Le plus important massacre de civils en France depuis la Guerre d’Algérie !
Nos deux auteurs ont longuement enquêté, compulsant les dossiers, recueillant les témoignages de toutes les parties, y compris d’ancien militaire ou de CRS. On y voit donc un peu plus clair aujourd’hui, mais à peine, tant la volonté d’empêcher la vérité d’éclater au grand jour est grande aujourd’hui encore ! Ce que l’on sait, c’est que dans la nuit du 25 au 26 mai deux bataillons de commandos français ont été acheminés depuis la métropole pour sécuriser l’aéroport et les champs alentours, massacrant au passage les populations civiles qui s’y trouvaient… Ce que l’on sait, c’est que le 5 juin devait avoir lieu un essai nucléaire français à Mururoa, celui de la bombe H et que le général de Gaulle, après avoir fait quitter l’OTAN à la France le 8 juin 66, tenait beaucoup à cet essai qui allait consacrer l’indépendance stratégique du pays. Il y tenait dans les temps choisis par lui, parce que les Etats-Unis, l’URSS et le Royaume Uni faisaient tout pour empêcher ce tir de la fameuse bombe H, thermonucléaire. Et ce que l’on sait encore, c’est que cette fameuse bombe H était stationnée sur le tarmac de l’aéroport de Pointe-à-Pitre, en attendant d’être larguée sur Mururoa le 5 juin 67… Foccart, le conseiller de de Gaulle, le tenait au courant minute par minute de l’évolution de la situation en Guadeloupe, insistant sur le fait qu’elle pouvait compromettre leurs plans.
Cela faisait des semaines même que des notes avertissaient l’Elysée et préconisaient de se débarrasser des meneurs, dont Jacques Nestor, assassiné par l’armée française le 25 mai 1967, pour raison d’état. Ce que l’on sait toujours, c’est que le préfet et le commissaire en place tenaient leurs ordres directement de l’Elysée. Et que ces ordres étaient clairs : celui de tirer à vue sur la foule des civils. Des civils abasourdis par la violence de la répression : des hommes, des femmes, des enfants, tirés comme des lapins, tués, blessés par milliers, dès lors qu’ils étaient dans les rues de leur ville à s’inquiéter de ce qui leur arrivait ! Un couvre-feu fut décidé à la hâte, dont beaucoup ignorait l’existence, s’exposant ainsi sans le savoir aux balles des gendarmes ! Un massacre. Enorme. Hallucinant. Tu aujourd’hui encore. Une ville en état de choc. Depuis. Toujours. Que s’est-il passé les 26 et 27 mai à Pointe-à-Pitre ? Une bombe H stationnait dans un hangar de l’aéroport, attendant d’être largué à des milliers de kilomètres de là. Près de deux-cents guadeloupéens sont morts en ignorant qu’aux yeux des autorités, leur grève menaçait de compromettre l’«opération Altaïr» : le largage de la première bombe H française !
Le sang des nègres : Mai 1967 à la Guadeloupe, le dernier massacre de la Ve République, Xavier-Marie Bonnot et François-Xavier Guillerm, Editions Galaade, coll. ESSAIS, 5 mai 2015, 160 pages, 18 euros, ISBN-13: 978-2351763773.