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La Dimension du sens que nous sommes

«L’essence de la France» selon Valls le 22 avril 2015

23 Avril 2015 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #Politique

«L’essence de la France» selon Valls le 22 avril 2015

En ces temps de commémoration du génocide arménien, son centenaire même, tous les arméniens de France goûteront avec humour l’hommage involontaire rendu à leur Roi Tiridate IV qui, en l’an 301 et ce bien avant la France, embrassa la foi chrétienne pour faire de son royaume le premier état officiellement chrétien du monde… Même si tous ne sont pas chrétiens, ni catholiques, et surtout si tous ont eu à souffrir justement de ce genre de conception essentialiste de la Nation, qui présida à leur extermination…

Les musulmans français seront eux aussi content d’apprendre qu’ils ne font pas partie de cette essence française, tout comme les juifs, les rroms bien que nombre d’entre eux soient chrétiens, les protestants qui sont peut-être restés trop huguenots à ses yeux, ou les républicains laïcs, non baptisés…

Il est des phrases que l’on ne peut sans frémir entendre prononcer… Sans rire, il entre de l’hystérie politique dans ce propos déconcertant de notre Premier ministre, qui vient de nous fabriquer, hier, un monde factice en appelant aux civilisations bornées pour réinscrire la polis française dans les canons d’une France catholique imaginaire à rebours de la lente marche du Peuple français vers son identité républicaine.

La France serait ainsi assimilable à la catégorie du religieux, constitutif, il va sans dire, d’un «corps français traditionnel» sans doute, ainsi que l’évoquait avant lui un Longuet, tout entier rabattable sur son histoire catholique… Notre Premier ministre, qui se dit républicain, a restauré par ce simple mot qu’il voulait fort, les effrois de l’aliénation identitaire religieuse, au sein de laquelle la France redeviendrait une géographie plutôt qu’une histoire, une religion plutôt qu’une culture…

Une vieille ritournelle à vrai dire que cette fabrique de l’imposture. Une vieille histoire qui présida à la fabrication du français de souche. Valls, sans le faire exprès, nous a d’un coup renvoyé à cette vieille histoire instruite dès l’époque des rois capétiens, lorsque l’Eglise «très chrétienne» décida de jouer un rôle décisif dans la mise en place de la nature du Pouvoir capétien, en l’ancrant dans le sol et des lignages (le sang) pour mieux dévoyer la réflexion sur la nature de l’autorité, à laquelle nos bons rois, tout comme semble-t-il notre cher Premier ministre, préférèrent les fumets de la Domination. Valls en est là, tant son besoin de reconnaissance est grand, tout entier enrôlé sous la quête de l’autorité. Tout comme notre bon roi capétien qui, à défaut d’installer un royaume, s’était construit comme le chef de la noblesse et non celui des français, Valls vient nous dire clairement que son Pouvoir n’est pas assis sur les attentes de la totalité du peuple français…

Peut-être se rappelle-t-il, lui qui convoque par son expression moins la foi chrétienne que ses institutions, que l’Eglise joua alors le rôle de ferment de l’unité de ces espaces par trop desserrés qu’étaient les nébuleuses que le royaume d’alors constituait. Il n’est pas inutile de rappeler ici que cette Institution de l’Eglise l’avait compris et qu’elle avait compris qu’avant de se lancer dans une fonction d’ordre, il lui fallait d’abord affermir la hiérarchie en son sein et proclamer bien fort que les laïcs étaient au service de l’Eglise… On pourrait, ici, remplacer avantageusement le mot Eglise par celui de Pouvoir, qu’on ne changerait rien à cette problématique.

Le "Blanc manteau de l’Eglise", selon la formule consacrée à l’époque, recouvrait ainsi exclusivement les épaules de la noblesse. Tout comme le Blanc manteau de la France de Valls ne semble recouvrir qu’une poignée de hiérarques à la solde du Pouvoir. Restait à construire la conformité d’un Peuple qui n’existait pas. Ce fut l’invention de l’Eglise justement. Amusant : l’Eglise installa le sacré dans tous les territoires qui lui étaient subordonnés. Elle l’établit, en inventa les formes, les usages et les vertus, en se lançant très concrètement dans un programme de construction sans précédent, lui permettant d’élever partout ses monuments, des églises précisément, aux calvaires et autres mobiliers du sacré chrétien.

C’est alors que les cimetières entrèrent dans l’espace habité, inscrivant non seulement l’Au-delà de ce côté-ci de la vie, mais en ramenant les morts "chez eux", en les plantant en terre pour qu’ils y fassent souche, elle enracina les êtres dans la terre du village, désormais inscrit dans l’eschatologie chrétienne.

Outre la construction de monuments, l’Eglise mis en œuvre une campagne sans précédent de processions («Je suis Charlie»). Il s’agissait d’inscrire les déplacements, les gestes de tous dans le sacré du sol et sceller l’unité nationale. L’unanimité chrétienne («Je suis Charlie»), put alors prendre son essor, tant il était difficile (de n’être pas Charlie), d’échapper à l’obligation d’un itinéraire processionnaire explicitement voué à unifier les différentes parties du village et à en marquer les terres du sceau chrétien.

Au XIème siècle, les gens qui habitaient les Principautés bougeaient beaucoup. On leur fit faire souche. Ils devaient être d’ici. Mais d’un ici déterminé là-bas, dans les sphères d’un Pouvoir qui ne leur laissera bientôt plus le choix d’être autre chose que ce qui aura été décidé pour eux…

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