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La Dimension du sens que nous sommes

Ce que le temps fait à la mémoire...

19 Avril 2015 , Rédigé par joël jégouzo Publié dans #en lisant - en relisant

Ce que le temps fait à la mémoire...

Pour comprendre ce que le temps fait à la mémoire, Freud nous dit : «pensez aux villes ». Pensez à leur topographie, à leurs sédimentations, à leur diversité, et puis changez d’échelle, songez à ce petit pan de mur jaune brossé par Marcel Proust (observant la Vue de Delphes), prenez de la hauteur, voyez la Seine dans ses méandres, vagabondez, livrez-vous à ses flux, ses immobilités, ses adhérences, aux terrains vagues qui la bordent, aux places abandonnées, aux rues étroites… Et pour y raisonnez l’inscription du temps, examinez l’espace, les surfaces qu’il déploie, exclue ou replie, sans oublier de voir la ville en coupes géologiques ou dans ses profondeurs. Regardez aussi ses pierres, ses murs, ses lézardes, observez les pavés que l’on voit et ceux que l’on ne voit plus. Pensez à Rome et pensez à Pompéi. «Soyez tour à tour promeneur et archéologue, ajoute Laurence Khan (La petite maison de l’âme, Paris, 1999). «Avec ou sans guide, pelles et pioches ou votre seul regard. Et laissez filer la pensée vers ce point obscur de l’enchevêtrement le plus serré des temporalités. » Là où les signes de l’Histoire sont l’opacité même. Car «le tissu le plus épais est toujours le lieu de l’oubli et parfois celui de la réminiscence. Quelque chose comme l’ombilic du temps», là où l’inconnu fait signe et fonctionne comme point de fuite «et ce, dans l’actualité d’un regard aux prises avec la remémoration.» L’observateur qui sait cartographier la ville qui n’est pas la sienne, celle qui se dérobe à sa prise, réveille une mémoire millénaire, celle d’une humanité qui n’a cessé, de génération en génération, de s’approprier la ville dans un rapport étrange d’amour et de ressentiment, pour transformer sans cesse, faute de pouvoir le conserver, ce qui fut l’œuvre des pères et n’a cessé de disparaître. La ville, nous dit Laurence Khan, est un corps latent nécessaire, où le débris disparu est le commencement d’un travail de la pensée qui ouvre l’horizon des reliquats où ne pointe aucun fétiche, contraignant le promeneur à la fiction.

images : Vue de Delphes, Vermeer, 1659, détail...

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